01 juillet 2007

Un plan «bois contre nourriture» entre l’Europe et l’Afrique

Le défi climatique – et donc énergétique – que le monde affronte aujourd’hui offre une gigantesque opportunité de développement économique et humain aux régions subtropicales, véritable gisement renouvelable d’énergie et de matériau trop souvent géré de manière anarchique. Or la production naturelle de bois des forêts subtropicales et équatoriales dans le monde correspond chaque année à la moitié de l’énergie primaire mondiale.

Un nouveau rapport de NowFuture.org, téléchargeable ci-dessous en PDF, entend démontrer qu’une sylviculture durable labelisée FSC, sans recours aux OGM, sans intrants, engrais ni pesticides, permettrait à la fois de lutter contre la désertification, de produire du charbon de bois et de l’électricité durable pour les autochtones, et d’exporter du bois-énergie en Europe selon les termes d’un nouveau commerce équitable Nord-Sud bénéficiant largement aux deux parties.

La Casamance, au Sénégal, pourrait constituer une excellente zone pilote. Vu la facture pétrolière actuelle du Sénégal, de nouvelles centrales électriques au bois permettant de subvenir aux besoins présents du Sénégal seraient rentabilisées en 6 ou 7 ans à peine.

Un commerce équitable Nord-Sud pourrait également se développer si le prix d’achat de bois sec subtropical s’établissait entre 20 € et 30 € la tonne, soit un prix rendu (transport par bateau inclus) de 45 € à 60 €. Un tel prix resterait très compétitif sur un marché européen, où la tonne de biomasse se négocie aujourd’hui entre 70 € et 90 €. A ce prix, les exploitants pourraient compter sur des revenus annuels bruts d’environ 400 € à 500 € par ha (contre actuellement 100 €/ha pour la culture de riz), et probablement davantage dans le futur.

Pour équilibrer la balance commerciale, l’Europe et l’Afrique auraient tout intérêt à pratiquer ce commerce dans le cadre d’un plan «bois contre nourriture». En échangeant par exemple 1 tonne de blé européen contre 2 tonnes de bois africain, abstraction faite du transport, les Africains obtiendraient 10 tonnes de céréales et les Européens 20 tonnes de bois à l’hectare exploité localement. Soit de 3 à 10 fois plus que les rendements actuels pour chacune des deux parties.

Le potentiel de marché pour les pays africains concernés s’élève à 1,6 gigatonnes équivalent pétrole (Gtep), soit 100 à 150 milliards d’euros par an – sans compter les économies réalisées sur les importations de pétrole. Un montant deux à trois fois supérieur à toutes les exportations actuelles de tous les pays concernés du Golfe de Guinée et d’Afrique centrale. Les emplois et la richesse générés par ces activités permettraient de lutter efficacement contre la misère et les tensions des zones pauvres, à condition que l’Europe participe au développement des infrastructures de transports et de production d’énergie.

Table des matières

1. Introduction
2. Biomasse en zone subtropicale
3. Culture de bois-énergie en Afrique
4. Intérêt de la sylviculture contre la désertification
5. Utilisation de bois pour la production d’électricité
6. Utilisation de bois pour la production de charbon de bois
7. Utilisation de bois pour l’exportation vers l’Europe
8. Comparaison des potentiels européens et subtropicaux
9. Bénéfices mutuels
10. Potentiel du marché du bois-énergie en Afrique
Bibliographie


Téléchargez le rapport «Production de bois-énergie en zone subtropicale» en PDF.


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26 février 2007

Europe des raisons, Europe déraison

Editorial
Par Laurent Minguet


L’union des Vingt-Cinq est une condition nécessaire mais non suffisante au développement durable de l’Union européenne, c’est-à-dire subvenir à nos besoins sans altérer la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Hélas, aujourd’hui, l’Europe n’a pas encore atteint la maturité d’inscrire ce principe fondamental dans ses Traités fondateurs.

Le nouveau théâtre européen – celui qui, il y a 25 ans, signifiait le lieu privilégié d’une guerre nucléaire entre Est et Ouest – est un champ de bataille idéologique entre libéralisme et socialisme pimenté par des égoïsmes nationaux et commerciaux. Vision pessimiste? Quelques perles.

La PAC assiégée de toutes parts

La PAC (Politique agricole commune) qui mange 40% du budget de l’Europe est un ensemble de mesures protectionnistes et anti-redistributives critiquées depuis des dizaines d’années par la pensée libérale, administrativement incarnée à l’échelle planétaire par l’OMC (Organisation mondiale du commerce), autant que par un José Bové, aujourd’hui porte-voix des paysans du Sud. La PAC, comme les subsides à l’exportation de nos amis américains, est indirectement responsable des difficultés qu’éprouvent les pays du tiers monde à développer leur agriculture locale (sans que ce soit la seule raison), précisément à cause de cette concurrence déloyale. La PAC fût aussi responsable de la surproduction et des scandaleux stocks de viande et de beurre. Enfin, elle n’a pas échappé à la règle «des 80/20», à savoir que 80% des subsides enrichissent 20% de grands groupes agricoles, de multinationales ou de riches propriétaires mais laissent une vie difficile voire misérable à 80% des agriculteurs européens.

Cela dit la suppression pure et simple de la PAC n’est pas une mince affaire. Par exemple, on va abolir prochainement les subventions européennes pour la culture de la betterave. Le prix tombera brutalement de 26 €/tonne à quelque 9 €/tonne, aligné sur le prix mondial du sucre. A ce tarif, les 6000 exploitations agricoles belges autrefois enviées par les autres fermiers, rencontreront d’énormes difficultés à survivre. Le même problème se pose dans plusieurs pays d’Europe. En saisissant les arguments de l’indépendance énergétique et du protocole de Kyoto, on continuera à subsidier, par d’autres voies, la culture de la betterave, pour produire du bioéthanol, mieux connu sous le nom d’alcool (éthylique).

La fausse bonne idée des biocarburants

C’est bien, me direz-vous, car on règle un problème social en apportant une goutte de pétrole vert à l’océan de carburant fossile que l’Europe consomme chaque année: 180 Mtep (millions de tonnes) rien que pour les transports. Mais l’Europe n’a pas suffisamment réfléchi à l’utilisation optimale des sols et de son budget. Il aurait été encore bien plus rentable, sur tous les plans, de favoriser les biocombustibles plutôt que les biocarburants. En effet, l’Europe vise une production nette de 5 Mtep de biocarburants en exploitant environ 4 millions d’hectares agricoles. Or, ces mêmes hectares pourraient produire 15 Mtep nettes de biocombustibles, soit 10 Mtep d’économie supplémentaire sur la facture pétrolière: 4 milliards d’euros par an, l’équivalent de 100.000 emplois…

Mais la difficulté européenne consiste aussi à marier des mentalités inconciliables entre des voisins pourtant proches, comme le montre l’anecdote suivante. En voyage au Danemark, j’interrogeai l’architecte d’une cité sociale sur l’utilisation de l’eau de pluie. Il me répondit qu’elle était strictement interdite au Danemark même pour les chasses de WC. L’eau de pluie était simplement déversée dans une mare de 20 mètres de diamètre au milieu d’un grand jardin commun à toutes les habitations. En France, une telle mare aurait obligatoirement été entourée d’une barrière métallique d’un mètre de haut pour y éviter la noyade de bambins. Mais au Danemark, ce n’est pas nécessaire: les enfants ne s’y noient jamais. Les phobies des nations ou de leurs dirigeants sont très contradictoires.

Lutter contre la légionellose tue plus que la légionellose

Il en va ainsi de la légionellose, cette maladie respiratoire qui se développe dans les climatiseurs et les circuits d’eau tiède. Elle n’est cependant responsable que de 9,8 malades par million d’habitants et moins d’un décès par million, de préférence l’homme fumeur alcoolique de plus de 50 ans, d’après l’OMS. C’est 150.000 fois moins de morts que le tabac. Pourtant, une législation contraignante oblige à surchauffer l’eau au-dessus de 60°C pour la stériliser sans réfléchir au fait que la surconsommation d’énergie (mazout, gaz, charbon…) est responsable de bien davantage de problèmes respiratoires que la légionellose, principalement liée au tourisme en Asie et en Afrique.

Si l’objectif est de réduire la mortalité, il conviendrait préalablement d’éradiquer la tabagie de l’espace européen. Mais qu’en disent les cultivateurs européens de tabac qui ont bénéficié en 2004 de près d’un milliard d’euros de subsides européens ? Par contre, les fabricants de chauffe eau sont toujours demandeurs pour une législation tatillonne qui rend l’ancien modèle obsolète et dope les vente d’un nouveau produit «anti-légionellose»!

Bref, en Europe comme ailleurs, il existe beaucoup d’activités non compatibles avec le développement durable. Il n’est cependant pas simple de les changer tant est forte l’opposition de ceux qui en vivent, de leurs lobbies et de leurs syndicats. Le problème est similaire au Sénégal, par exemple, où l’une de mes amies s’est récemment émue qu’on allait y pratiquer, lors d’une fête, l’excision d’une dizaine de petites filles malgré l’interdiction de cette pratique culturelle. Un des arguments avancés en faveur de l’excision est ce que deviendrait l’exciseuse privée de son travail…

Ni de droite, ni de gauche: au-dessus!

Tant qu’on pensera que le développement durable est un compromis, souvent boiteux, entre les soucis sociaux, économiques et environnementaux, on assistera au marchandage entre des idées de droite et de gauche.

Le développement durable est au dessus des politiques. C’est la philosophie de base: la conservation de l’espèce humaine. Il ne devrait pas rencontrer d’opposition politique, religieuse ou culturelle au risque de conduire l’humanité tout entière à sa perte. Le futur nous dira si cette humanité saura profiter de son supplément d’âme face aux 8,5 millions d’espèces concurrentes de la biosphère terrestre.

Laurent Minguet

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