Europe des raisons, Europe déraison
Editorial
Par Laurent Minguet
L’union des Vingt-Cinq est une condition nécessaire mais non suffisante au développement durable de l’Union européenne, c’est-à-dire subvenir à nos besoins sans altérer la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Hélas, aujourd’hui, l’Europe n’a pas encore atteint la maturité d’inscrire ce principe fondamental dans ses Traités fondateurs.
Le nouveau théâtre européen – celui qui, il y a 25 ans, signifiait le lieu privilégié d’une guerre nucléaire entre Est et Ouest – est un champ de bataille idéologique entre libéralisme et socialisme pimenté par des égoïsmes nationaux et commerciaux. Vision pessimiste? Quelques perles.
La PAC assiégée de toutes parts
La PAC (Politique agricole commune) qui mange 40% du budget de l’Europe est un ensemble de mesures protectionnistes et anti-redistributives critiquées depuis des dizaines d’années par la pensée libérale, administrativement incarnée à l’échelle planétaire par l’OMC (Organisation mondiale du commerce), autant que par un José Bové, aujourd’hui porte-voix des paysans du Sud. La PAC, comme les subsides à l’exportation de nos amis américains, est indirectement responsable des difficultés qu’éprouvent les pays du tiers monde à développer leur agriculture locale (sans que ce soit la seule raison), précisément à cause de cette concurrence déloyale. La PAC fût aussi responsable de la surproduction et des scandaleux stocks de viande et de beurre. Enfin, elle n’a pas échappé à la règle «des 80/20», à savoir que 80% des subsides enrichissent 20% de grands groupes agricoles, de multinationales ou de riches propriétaires mais laissent une vie difficile voire misérable à 80% des agriculteurs européens.
Cela dit la suppression pure et simple de la PAC n’est pas une mince affaire. Par exemple, on va abolir prochainement les subventions européennes pour la culture de la betterave. Le prix tombera brutalement de 26 €/tonne à quelque 9 €/tonne, aligné sur le prix mondial du sucre. A ce tarif, les 6000 exploitations agricoles belges autrefois enviées par les autres fermiers, rencontreront d’énormes difficultés à survivre. Le même problème se pose dans plusieurs pays d’Europe. En saisissant les arguments de l’indépendance énergétique et du protocole de Kyoto, on continuera à subsidier, par d’autres voies, la culture de la betterave, pour produire du bioéthanol, mieux connu sous le nom d’alcool (éthylique).
La fausse bonne idée des biocarburants
C’est bien, me direz-vous, car on règle un problème social en apportant une goutte de pétrole vert à l’océan de carburant fossile que l’Europe consomme chaque année: 180 Mtep (millions de tonnes) rien que pour les transports. Mais l’Europe n’a pas suffisamment réfléchi à l’utilisation optimale des sols et de son budget. Il aurait été encore bien plus rentable, sur tous les plans, de favoriser les biocombustibles plutôt que les biocarburants. En effet, l’Europe vise une production nette de 5 Mtep de biocarburants en exploitant environ 4 millions d’hectares agricoles. Or, ces mêmes hectares pourraient produire 15 Mtep nettes de biocombustibles, soit 10 Mtep d’économie supplémentaire sur la facture pétrolière: 4 milliards d’euros par an, l’équivalent de 100.000 emplois…
Mais la difficulté européenne consiste aussi à marier des mentalités inconciliables entre des voisins pourtant proches, comme le montre l’anecdote suivante. En voyage au Danemark, j’interrogeai l’architecte d’une cité sociale sur l’utilisation de l’eau de pluie. Il me répondit qu’elle était strictement interdite au Danemark même pour les chasses de WC. L’eau de pluie était simplement déversée dans une mare de 20 mètres de diamètre au milieu d’un grand jardin commun à toutes les habitations. En France, une telle mare aurait obligatoirement été entourée d’une barrière métallique d’un mètre de haut pour y éviter la noyade de bambins. Mais au Danemark, ce n’est pas nécessaire: les enfants ne s’y noient jamais. Les phobies des nations ou de leurs dirigeants sont très contradictoires.
Lutter contre la légionellose tue plus que la légionellose
Il en va ainsi de la légionellose, cette maladie respiratoire qui se développe dans les climatiseurs et les circuits d’eau tiède. Elle n’est cependant responsable que de 9,8 malades par million d’habitants et moins d’un décès par million, de préférence l’homme fumeur alcoolique de plus de 50 ans, d’après l’OMS. C’est 150.000 fois moins de morts que le tabac. Pourtant, une législation contraignante oblige à surchauffer l’eau au-dessus de 60°C pour la stériliser sans réfléchir au fait que la surconsommation d’énergie (mazout, gaz, charbon…) est responsable de bien davantage de problèmes respiratoires que la légionellose, principalement liée au tourisme en Asie et en Afrique.
Si l’objectif est de réduire la mortalité, il conviendrait préalablement d’éradiquer la tabagie de l’espace européen. Mais qu’en disent les cultivateurs européens de tabac qui ont bénéficié en 2004 de près d’un milliard d’euros de subsides européens ? Par contre, les fabricants de chauffe eau sont toujours demandeurs pour une législation tatillonne qui rend l’ancien modèle obsolète et dope les vente d’un nouveau produit «anti-légionellose»!
Bref, en Europe comme ailleurs, il existe beaucoup d’activités non compatibles avec le développement durable. Il n’est cependant pas simple de les changer tant est forte l’opposition de ceux qui en vivent, de leurs lobbies et de leurs syndicats. Le problème est similaire au Sénégal, par exemple, où l’une de mes amies s’est récemment émue qu’on allait y pratiquer, lors d’une fête, l’excision d’une dizaine de petites filles malgré l’interdiction de cette pratique culturelle. Un des arguments avancés en faveur de l’excision est ce que deviendrait l’exciseuse privée de son travail…
Ni de droite, ni de gauche: au-dessus!
Tant qu’on pensera que le développement durable est un compromis, souvent boiteux, entre les soucis sociaux, économiques et environnementaux, on assistera au marchandage entre des idées de droite et de gauche.
Le développement durable est au dessus des politiques. C’est la philosophie de base: la conservation de l’espèce humaine. Il ne devrait pas rencontrer d’opposition politique, religieuse ou culturelle au risque de conduire l’humanité tout entière à sa perte. Le futur nous dira si cette humanité saura profiter de son supplément d’âme face aux 8,5 millions d’espèces concurrentes de la biosphère terrestre.
Laurent Minguet
Par Laurent Minguet
L’union des Vingt-Cinq est une condition nécessaire mais non suffisante au développement durable de l’Union européenne, c’est-à-dire subvenir à nos besoins sans altérer la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Hélas, aujourd’hui, l’Europe n’a pas encore atteint la maturité d’inscrire ce principe fondamental dans ses Traités fondateurs.
Le nouveau théâtre européen – celui qui, il y a 25 ans, signifiait le lieu privilégié d’une guerre nucléaire entre Est et Ouest – est un champ de bataille idéologique entre libéralisme et socialisme pimenté par des égoïsmes nationaux et commerciaux. Vision pessimiste? Quelques perles.
La PAC assiégée de toutes parts
La PAC (Politique agricole commune) qui mange 40% du budget de l’Europe est un ensemble de mesures protectionnistes et anti-redistributives critiquées depuis des dizaines d’années par la pensée libérale, administrativement incarnée à l’échelle planétaire par l’OMC (Organisation mondiale du commerce), autant que par un José Bové, aujourd’hui porte-voix des paysans du Sud. La PAC, comme les subsides à l’exportation de nos amis américains, est indirectement responsable des difficultés qu’éprouvent les pays du tiers monde à développer leur agriculture locale (sans que ce soit la seule raison), précisément à cause de cette concurrence déloyale. La PAC fût aussi responsable de la surproduction et des scandaleux stocks de viande et de beurre. Enfin, elle n’a pas échappé à la règle «des 80/20», à savoir que 80% des subsides enrichissent 20% de grands groupes agricoles, de multinationales ou de riches propriétaires mais laissent une vie difficile voire misérable à 80% des agriculteurs européens.
Cela dit la suppression pure et simple de la PAC n’est pas une mince affaire. Par exemple, on va abolir prochainement les subventions européennes pour la culture de la betterave. Le prix tombera brutalement de 26 €/tonne à quelque 9 €/tonne, aligné sur le prix mondial du sucre. A ce tarif, les 6000 exploitations agricoles belges autrefois enviées par les autres fermiers, rencontreront d’énormes difficultés à survivre. Le même problème se pose dans plusieurs pays d’Europe. En saisissant les arguments de l’indépendance énergétique et du protocole de Kyoto, on continuera à subsidier, par d’autres voies, la culture de la betterave, pour produire du bioéthanol, mieux connu sous le nom d’alcool (éthylique).
La fausse bonne idée des biocarburants
C’est bien, me direz-vous, car on règle un problème social en apportant une goutte de pétrole vert à l’océan de carburant fossile que l’Europe consomme chaque année: 180 Mtep (millions de tonnes) rien que pour les transports. Mais l’Europe n’a pas suffisamment réfléchi à l’utilisation optimale des sols et de son budget. Il aurait été encore bien plus rentable, sur tous les plans, de favoriser les biocombustibles plutôt que les biocarburants. En effet, l’Europe vise une production nette de 5 Mtep de biocarburants en exploitant environ 4 millions d’hectares agricoles. Or, ces mêmes hectares pourraient produire 15 Mtep nettes de biocombustibles, soit 10 Mtep d’économie supplémentaire sur la facture pétrolière: 4 milliards d’euros par an, l’équivalent de 100.000 emplois…
Mais la difficulté européenne consiste aussi à marier des mentalités inconciliables entre des voisins pourtant proches, comme le montre l’anecdote suivante. En voyage au Danemark, j’interrogeai l’architecte d’une cité sociale sur l’utilisation de l’eau de pluie. Il me répondit qu’elle était strictement interdite au Danemark même pour les chasses de WC. L’eau de pluie était simplement déversée dans une mare de 20 mètres de diamètre au milieu d’un grand jardin commun à toutes les habitations. En France, une telle mare aurait obligatoirement été entourée d’une barrière métallique d’un mètre de haut pour y éviter la noyade de bambins. Mais au Danemark, ce n’est pas nécessaire: les enfants ne s’y noient jamais. Les phobies des nations ou de leurs dirigeants sont très contradictoires.
Lutter contre la légionellose tue plus que la légionellose
Il en va ainsi de la légionellose, cette maladie respiratoire qui se développe dans les climatiseurs et les circuits d’eau tiède. Elle n’est cependant responsable que de 9,8 malades par million d’habitants et moins d’un décès par million, de préférence l’homme fumeur alcoolique de plus de 50 ans, d’après l’OMS. C’est 150.000 fois moins de morts que le tabac. Pourtant, une législation contraignante oblige à surchauffer l’eau au-dessus de 60°C pour la stériliser sans réfléchir au fait que la surconsommation d’énergie (mazout, gaz, charbon…) est responsable de bien davantage de problèmes respiratoires que la légionellose, principalement liée au tourisme en Asie et en Afrique.
Si l’objectif est de réduire la mortalité, il conviendrait préalablement d’éradiquer la tabagie de l’espace européen. Mais qu’en disent les cultivateurs européens de tabac qui ont bénéficié en 2004 de près d’un milliard d’euros de subsides européens ? Par contre, les fabricants de chauffe eau sont toujours demandeurs pour une législation tatillonne qui rend l’ancien modèle obsolète et dope les vente d’un nouveau produit «anti-légionellose»!
Bref, en Europe comme ailleurs, il existe beaucoup d’activités non compatibles avec le développement durable. Il n’est cependant pas simple de les changer tant est forte l’opposition de ceux qui en vivent, de leurs lobbies et de leurs syndicats. Le problème est similaire au Sénégal, par exemple, où l’une de mes amies s’est récemment émue qu’on allait y pratiquer, lors d’une fête, l’excision d’une dizaine de petites filles malgré l’interdiction de cette pratique culturelle. Un des arguments avancés en faveur de l’excision est ce que deviendrait l’exciseuse privée de son travail…
Ni de droite, ni de gauche: au-dessus!
Tant qu’on pensera que le développement durable est un compromis, souvent boiteux, entre les soucis sociaux, économiques et environnementaux, on assistera au marchandage entre des idées de droite et de gauche.
Le développement durable est au dessus des politiques. C’est la philosophie de base: la conservation de l’espèce humaine. Il ne devrait pas rencontrer d’opposition politique, religieuse ou culturelle au risque de conduire l’humanité tout entière à sa perte. Le futur nous dira si cette humanité saura profiter de son supplément d’âme face aux 8,5 millions d’espèces concurrentes de la biosphère terrestre.
Laurent Minguet
Libellés : Europe
2 réactions:
Bonsoir Monsieur Minguet
Vous écrivez ceci:
L’Europe n’a pas suffisamment réfléchi à l’utilisation optimale des sols et de son budget. Il aurait été encore bien plus rentable, sur tous les plans, de favoriser les biocombustibles plutôt que les biocarburants. En effet, l’Europe vise une production nette de 5 Mtep de biocarburants en exploitant environ 4 millions d’hectares agricoles. Or, ces mêmes hectares pourraient produire 15 Mtep nettes de biocombustibles, soit 10 Mtep d’économie supplémentaire sur la facture pétrolière: 4 milliards d’euros par an, l’équivalent de 100.000 emplois…
5 Mtep de biocarburant en exploitant4 millions d'hectares
Pouvez vous me dire avec quel rendement énergétique, car je suppose qu'il faut de l'énergie pour les engrais, les tracteurs les transport du champ aux usines, le fonctionnement des usines le transport jusqu'à la pompe (j'en oublie peut-être)
Exsiste-t-il une étude à ce sujet?
15 Mtep net de biocombustible
Je suppose que vous parlez du chauffage au bois que vous préconnisez, je n'y suis cependant pas tout à fait favorable
Pour avoir fait des essais sur le BRF,( que vous mentionner dans "comment financer le durable") je pense qu'il serait d'abord plus judicieux d'utiliser cette méthode pour refaire de l'humus que l'agriculture industrielle a sauvagement détruit.
Cela permettra de réaliser de sustantielles économies de carburant pour le travail du sol, de produire des aliments de meilleur qualité garants d'une mielleure santé, d'augmenter la biodiversité.
Le développement durable est au dessus des politiques. C’est la philosophie de base: la conservation de l’espèce humaine. Il ne devrait pas rencontrer d’opposition politique, religieuse ou culturelle au risque de conduire l’humanité tout entière à sa perte. Le futur nous dira si cette humanité saura profiter de son supplément d’âme face aux 8,5 millions d’espèces concurrentes de la biosphère terrestre.
Tout à fait d'accord, c'est tout le problème de passer de l'entropie aux structures dissipatives, de passer de l'ère industrielle à la "Troisième Vague" de civilisation (Alvin Toffler) ou l'hyper démocratie et les "Tanshumains" de Jacques Attali.
Peu de gens connaissent ces ouvrages ou ces travaux pourtant déjà très vulgarisés.
C'est un véritable changement de paradygme, un nouvel équilibre, une nouvelle manière de penser dans tout les domaines.
Le pire, c'est qu'il est à la portée de tous, mais il est plus facile de dire "on ne peut rien y faire" que de réaliser l'effort de s'informer.
On peut aussi continuellement casser du sucre sur le dos du gouvernement, mais bon dieu, on a la démocratie qu'on mérite!
Pourtant ce changement salutaire ne peu venir que d'en bas.
Il y a encore un travail gigantesque d'information à réaliser et vous faites cela avec talent.
Au plaisir de vous lire.
By Mike, at 04 mars, 2007 21:50
Mike a écrit :
Pouvez vous me dire avec quel rendement énergétique, car je suppose qu'il faut de l'énergie pour les engrais, les tracteurs les transport du champ aux usines, le fonctionnement des usines le transport jusqu'à la pompe (j'en oublie peut-être)
Exsiste-t-il une étude à ce sujet?
Cher Monsieur,
Voici un article qui fait le bilan énergétique du bioéthanol et du biodiesel (en anglais).
Extrait:
To be a viable alternative, a biofuel should provide a net energy gain, have environmental benefits, be economically competitive, and be producible in large quantities without reducing food supplies. We use these criteria to evaluate, through life-cycle accounting, ethanol from corn grain and biodiesel from soybeans. Ethanol yields 25% more energy than the energy invested in its production, whereas biodiesel yields 93% more. Compared with ethanol, biodiesel releases just 1.0%, 8.3%, and 13% of the agricultural nitrogen, phosphorus, and pesticide pollutants, respectively, per net energy gain. Relative to the fossil fuels they displace, greenhouse gas emissions are reduced 12% by the production and combustion of ethanol and 41% by biodiesel. Biodiesel also releases less air pollutants per net energy gain than ethanol. These advantages of biodiesel over ethanol come from lower agricultural inputs and more efficient conversion of feedstocks to fuel
Référence:
Hill J, Nelson E, Tilman D, Polasky S, Tiffany D. Environmental, economic, and energetic costs and benefits of biodiesel and ethanol biofuels.Proc Natl Acad Sci U S A. 2006 Jul 25;103(30):11206-10.
Lien: www.pnas.org/cgi/content/full/103/30/11206
By bruno, at 04 juillet, 2007 20:19
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