C’est un truisme que de l’écrire, à propos de la Chine tout se décline au superlatif. Mais, au-delà de la légitime fascination qu’elle exerce sur les esprits, par la fabuleuse richesse de son histoire et de sa culture, la Chine à en 1994 fait un choix dramatique. Le gouvernement de l’époque, fort de sa croissance économique exceptionnelle (9%), initiée dans les années 80, a opté pour le « tout voiture », si l’on peut dire ; faisant de l’enseignement des anciens et des sages lettre morte.
Portés par cette vague de développement économique exceptionnel, les autorités ont entrepris, via le 9ème plan quinquennal (2001-2005) de produire 1 million de voitures par an. Or, si en 1999, elles n’étaient que 3 millions, les Chinois compteront plus de 40 millions de voitures sur leurs routes avant 2010, dont 30 millions en zones urbaines. Si cela fait le bonheur des constructeurs occidentaux, des américains et des japonais, cela ne présage rien de bon pour l’environnement, la santé et les humains...L’anarchie qui sert de code de conduite, le manque de formations adéquates des jeunes conducteurs, tuent et blessent plus que le même nombre de voitures aux Etats-Unis (110.000 morts en 2002, le taux le plus élevé du monde). Mais, cela n’est qu’un détail au regard des gigantesques enjeux économiques à court, très court terme. Car, l’aveuglement semble bien servir de guide aux dirigeants du Parti Communiste chinois.
Si ce pays disposait en 1999 de 1,2 millions de Km de routes (dont 80% n’étaient pas asphaltées) et de 2 % d’autoroutes, les choses ont changé depuis. Désormais, la Chine roule pour l’asphalte en ligne droite. En 2003, il y avait 1,81 millions de Km de routes ouvertes à la circulation et 30.000 Km d’autoroutes, soit de quoi faire deux fois et demi l’aller et retour de la lune ! La même année, 44 milliards $ ont été investis pour construire 46.000 Km de routes dont 4.600 d’autoroutes ; 102.000 Km de routes rurales ont été transformées ; in fine, le pays projette de construire un réseau de 82.000 Km d’autoroutes (1) qui devrait relier tous les chefs lieux de provinces ainsi que 83% des villes de plus de 500.000 habitants et 74% de celles de plus de 200.000 habitants, sans oublier les aéroport, les gares, les zones industrielles etc.
En 2010 la longueur totale des routes en Chine sera d’au moins 2,1 millions de Km et passera dans la décennie suivante à plus de 2,6 millions de Km (2) ce qui, toujours selon les autorités chinoises, devrait rendre accessibles 99% des agglomérations et 96% des villages. Tout cela en sachant que les dépenses en matière d’infrastructures de sécurité et d’entretien minimum sont quasiment inexistantes parce que leur seule gestion est si coûteuse qu’on s’en passe...tout simplement. Selon le professeur Garel Rhys, analyste au Centre for Automotive Research de l’université de Cradiff, les ventes de véhicules pourraient atteindre les 20 millions d’unités en 2020, dépassant les Etats-Unis et l’ensemble de l’Europe Occidentale.
Las, l’euphorie générée par la croissance économique occulte les problèmes qui pointent à l’horizon et qui, eux aussi, se déclinent au superlatif.
Avec ses 1,3 milliards d’habitants, le pays est le plus peuplé de la planète. Son taux de croissance démographique étant de 0,8% l’an (10,4 millions de petits chinois chaque année (3) ; taux de fécondité équivalent à celui de la France : 1,8), le pays va connaître très vite une grave pénurie d’espace. Toutefois, les experts prévoient une stagnation à 1,5 milliards, puis une régression jusqu’à 1,4 milliards.
La majorité de la population est concentrée sur une étroite bande le long de la façade sud et sud-est du pays. Dans cette même zone, se concentrent la plupart des industries. Il va donc falloir trouver des solutions afin que la terre disponible s’agrandisse. Mais ici, il ne suffira pas d’étendre les surfaces habitables ou de multiplier les gratte-ciels. La Chine a besoin d’1 milliard de m² par an de logements et ce durant les 15 années à venir (4) Si l’on tient compte de la démographie, des surfaces gigantesques destinées à l’agriculture, des surfaces indispensables aux zones industrielles, des infrastructures corollaires aux réseaux routiers (parkings, stations d’essence, commerces etc.), on se demande comment les édiles locaux et nationaux vont faire pour trouver de la place ? Et surtout : où ? Car en Chine comme ailleurs, la terre n’est pas extensible. Or, ces quelques exemples ne sont que la partie visible d’un iceberg qui sera fatal à la Chine plus sûrement encore que celui qui à coulé le Titanic, et par voie de conséquences, c’est le monde dans son ensemble qui sera touché. Le colosse à des pieds d’argile...
La Chine consomme, en pétrole, près de l’équivalent des Etats-Unis, premiers consommateurs et pollueurs du monde. Bientôt, elle sera leader aussi sur ce point. Le pays engloutira des masses gigantesques de matières fossiles. Elle va contribuer grandement à vider toutes les réserves de pétrole connues ; et l’on sait que notre planète ne recèle que pour 40 à 50 ans de réserves. Dès lors, le choix de l’automobile tient du suicide économique et physique, malgré les efforts de marketing du gouvernement qui ne manque pas une occasion de brandir telle ou telle invention ou voiture électrique (aux JO, il en circulera dans les villages réservés aux athlètes, aux journalistes et aux officiels...mais uniquement là). De plus ce choix va entraîner une plus grande dépendance de la Chine envers les pays producteurs. Verra-t-on la Chine pratiquer l’agression stratégique pour s’emparer des richesses du sous-sol, comme les Etats-Unis en Irak ?
Il ne s’agit pas ici de jouer les Cassandre, mais force est de constater que les chiffres sont alarmants. Jusqu’à la très sérieuse Académie chinoise des sciences qui est entrée dans la ronde des mises en gardes. La vénérable institution a rédigé un Livre blanc à l’intention du gouvernement central, le mettant en garde contre un système de transports centré sur l’automobile. Rien n’y fait, la logique à courte vue l’emporte sur la raison et une gestion durable du pays et de ses ressources.
Albert Camus disait : « Ils ont crée une fiction pour se donner l’illusion d’être ». C’est, aujourd’hui, le cas de la Chine, déjà confrontée à des réalités économiques, sociales et environnementales qui s’imposent durement à elle, faisant voler en éclats les programmes, prédictions et autres études.
Suivons le raisonnement. Le réseau autoroutier va désenclaver les régions les plus reculées du pays. Soit. Mais, cette ouverture risque d’avoir l’effet inverse à celui escompté : Plus de 550 millions de personnes vivent dans la région aride du Nord qui détient 60% des terres cultivées et un cinquième de l’eau. Dans le Sud humide, arrosé, entre autres, par le Yangzi Jiang, 700 millions de personnes disposent d’un tiers des terres cultivées et des quatre cinquièmes de l’eau. La grave pénurie d’eau dans le nord-ouest, par exemple, n’attirera pas les hommes d’affaires, on verra plutôt les populations quitter une terre ingrate vers les villes, déjà surpeuplées, de la région ou vers celles, supposées plus hospitalières plus au sud. Selon des chiffres officiels, depuis 1979, au moins 80 millions de paysans ont quitté leurs terres vers les villes (il est question de 140 à 200 millions...mais ceci est un sujet fâcheux pour les autorités...) tandis que les terres arables diminuent d’environ 2.500 Km² par an.
Des estimations parlent de 8 millions de paysans qui, chaque année, préfèrent les néons des villes à l’âpreté de la vie rurale (sur un total estimé de 325 millions de paysans actifs ; 800 millions de personnes vivent dans des zones rurales). Pour « tenir le coup » dans cette course à la production agricole, les paysans doivent acheter des engrais au prix fort, tandis que les prix de vente de leurs produits sont en chute libre. Cela crée une paupérisation qui met en faillite nombre de petites fermes. Ainsi, on voit désormais une main d’œuvre surabondante, taillable et corvéable à merci, se mettre au service de fermiers plus chanceux ou plus malins. L’exode vers les villes n’en est alors que plus important.
L’agriculture intensive requiert beaucoup d’eau et répond à des demandes de plus en plus importantes, à mesure que le niveau de vie et les exigences augmentent ; par exemple, le maïs est plus souvent utilisé dans l’alimentation animale, la consommation de viande à grimpé vertigineusement, dépassant celle des Etats-Unis. La Chine, bien qu’autosuffisante en matière de céréales, importe pour faire des mélanges et ainsi compenser la moindre qualité de ses produits.
Grâce aux pompes modernes capables d’extraire en quelques semaines plus d’une année de précipitations (300 mm/an), le niveau des nappes phréatiques a dramatiquement baissé. Le cheptel de cette région nord est trop important et aggrave encore plus la situation (pour l’ensemble du pays, 300 millions de moutons et de chèvres contre 8 pour les Etats-Unis). Les éleveurs ne trouvent plus de quoi abreuver correctement leurs troupeaux. En clair, le Nord dispose par hectare cultivé d’un huitième de l’eau disponible par hectare dans le Sud.
En 1997, dans les cinq provinces qui constituent la zone nord (Hebei, Henan, Shandong, Pékin et Tianjin) on recensait 2,6 millions de puits destinés essentiellement à l’irrigation. La même année, 99.900 d’entre eux furent abandonnés, la nappe phréatique ayant trop baissé ; 221.900 autres puits furent creusés dans le même temps. A Pékin, la nappe aquifère a chuté de 1,5m en 1999. Depuis 1965, l’eau a baissé de 59 m sous la ville... (5)
Manque d’eau, surpompage, surpaturage, l’équation est d’une terrible simplicité. Dans le seul canton de Gong, paissaient, en 1998, 5,5 millions de moutons, alors que les terres ne pouvaient en nourrir et abreuver que 3,7 millions (6) De vastes étendues de la Chine du Nord-ouest sont en passe de devenir des déserts. On connaît déjà des « dust bowl » comme aux Etats-Unis. Certains nuages de poussière couvrent des villes entières empêchant la lumière du soleil de passer. Les Japonais se plaignent que des nuages de poussière de sable s’abattent sur leur territoire. En mai 2000, le China Daily sortait un article qui disait : « Les terribles tempêtes de sable qui ont frappé récemment plusieurs villes importantes du nord de la Chine ont alerté la population sur les conséquences dévastatrices d’une stratégie de développement qui a fait l’impasse sur l’environnement » (7) Autre exemple : dans le bassin de la rivière Shiyang, en 40 ans, le niveau de l’eau à baissé de 15 m, soit 74% de moins de l’écoulement vers les parties aval.
La désertification coûte à la Chine 7 milliards $ par an (8). Michael Sztanke, journaliste à RFI rapporte (04.12.2004), lors d’un reportage au village de Longbaoshan, à 70 Km au nord de Pékin, qu’une dune de sable progresse vers les maisons dont elle n’est plus éloignée que de soixante mètres et avance de deux mètres par an. Venu du désert de Gobi, le sable s’installe et tue. Les arbres meurent, le maïs ne pousse plus comme avant et s’assèche trop vite. Toujours selon le même rapport de l’ONU (avril 2002), le désert grignoterait 3.600 Km² de terre chaque année, deux fois plus qu’il y a vingt ans. Aujourd’hui, 27% du territoire chinois est désertifié. Comme le signale le journaliste, les Jeux Olympiques de 2008 devraient pousser les dirigeants à mettre sur pied une politique de développement durable. Des travaux pharaoniques sont en cours pour détourner les eaux du Yiangzi Jiang vers le fleuve jaune. Mais ne sont-ce pas là encore que des cataplasmes sur une jambe de bois ?
Car l’héritage du grand Timonier, Mao Zedong est terrible pour l’environnement. L’auteur du Petit Livre Rouge disait : « Conquiert et change la nature afin d’atteindre la liberté ». Les dirigeants d’aujourd’hui, tout en disant se démarquer clairement de cette imprécation, n’en sont pas moins engoncés dans des logiques qui la servent. Les divers courant qui traversent la société chinoise semblent en lice et rien ne présage que ce sera le taoïsme qui l’emportera (*) Il n’est que de voir la vaste propagande faite autour du non moins vaste programme de reboisement entrepris par le gouvernement. Inscrit dans la continuité du programme de 1978, il préconise de planter des millions d’arbres afin de barrer la route au désert. Ce qui est désormais appelé la « Grande Muraille Verte », devrait protéger les provinces de Mongolie intérieure, du Ningxia, du Xinjiang, du Shaanxi et du Gansu. En 1987, le Rapport Brundtland sur le développement durable arrive sur les maroquins des ministères chinois, les hommes au pouvoir voient tout de suite qu’ils ont à donner une image lisse, parfaitement en harmonie avec les nouvelles idées occidentales, s’ils veulent ouvrir leur marché au reste du monde (et que le reste du monde s’ouvre à leurs produits). La phase Grande Muraille Verte (en fait la quatrième depuis 1978) se met en place. Les efforts incontestables des autorités ne semblent pas couronnés de succès. Le désert progresse toujours, les hommes chargés des entretiens de pareilles plantations ne semblent pas avoir reçu les formations nécessaires, les arbres meurent et doivent être remplacés et tout cela a un prix qui n’est pas spécifié...(est-il inférieur aux 7 milliards $ par an que coûte la désertification ?) Mais, en Chine, comme ailleurs, certaines décisions tiennent du cosmétique plutôt que du courage. L’approche des JO de 2008, l’afflux de milliers de journalistes et de visiteurs aurait-il poussé le Parti Communiste à s’offrir une image de marque positive, branchée, tournée vers l’avenir, à moindre frais ? N’est-il pas trop tard ? Les dégâts occasionnés à l’environnement n’ont-il pas atteint leur point de non retour ? A-t-on besoin d’ajouter à ce constat peu engageant, la pollution de millions de voiture ?
Quoi qu’il en soit, l’automobile reste le moyen privilégié choisi pour la mobilité en Chine. Et tant pis si les hommes ne savent plus lire les signes tangibles que l’environnement, la Nature, leur envoie. Le monde asphyxié continue, au nom du business, d’apporter à la Chine les moyens de sa course folle vers un avenir blindé. Le tout, tout de suite, l’emporte. Ce pays dévore déjà à lui seul près de 30% de l’acier produit dans le monde. L’effort prométhéen de la Chine pour se hisser en tête du commerce mondial se fait au péril de la vie elle-même, une Chine devenue sourde, aveugle et muette, amnésique aussi, en oubliant que 200 millions de citoyens chinois vivent avec 1$ par jour...
Le gouvernement avance que dès que les régions pauvres seront désenclavées, elles connaîtront un essor économique, de la richesse se créera qui sera distribuée...Mais, les vœux pieux et les promesses de lendemains qui chantent n’apaisent pas la faim. Les exemples sont nombreux où on a vu des régions s’ouvrir sans que le moindre changement d’envergure, pour la majorité des citoyens, ne soit observé. Au contraire, une oligarchie s’installe et profite des moyens nouveaux offerts par les routes et imposent des pouvoirs de roitelets. Au Soudan, la route reliant Nyala à Zalingei devait créer cette richesse. Les fermiers les plus importants de la région ont crée des sociétés de transports pour porter plus vite les produits des récoltes à la ville...mais les prix payés aux paysans n’ont pas augmenté, pire, ils ont baissé car le prix du transport à été reporté sur le prix d’achat...Pourquoi en serait-il autrement en Chine ?
Partant de l’automobile comme point de départ (en effet), on peut se rendre compte que rien ne sépare la gestion des affaires de l’Etat de la gestion des affaires tout court. Il n’est pas encore venu le temps où le courage politique ira de paire avec l’engagement social et le respect de l’environnement.
Alfonso Artico