25 août 2006

Croissance et décroissance

La croissance dont un quelconque ministre a parlé ce matin à la radio signifie croissance du produit intérieur brut, à savoir de la somme des valeurs ajoutées d’un pays ou de la somme des salaires déclarés. Le ministre comme le syndicaliste croit qu’en augmentant la croissance d’au moins 2%, on va créer de l’emploi. En fait, c’est l’inverse, si l’emploi augmente, on constatera une augmentation logique de la somme des salaires.

Le ministre croît aussi que la croissance est forcément bonne pour le pays. En fait, le PIB ne comptabilise que la valeur ajoutée et non la valeur soustraite par l’obsolescence, les catastrophes, les accidents… Supposons par exemple, qu’un ouragan cause d’énormes dégâts aux voiries, habitations, véhicules… A cet instant, le PIB n’en sera pas affecté ce qui est un non sens vis-à-vis des conséquences dramatiques que le pays tout entier traverserait. La reconstruction et la remise en ordre de ce drame augmenterait sensiblement le PIB ce qui constituerait une deuxième erreur d’appréciation puisqu’après, nous en serions revenu au point de départ.

Comme le dit Jean-Marc Jancovici dans son ouvrage Le plein s’il vous plaît, la comptabilité nationale est comparable à celle d’une épicerie qui se soucierait seulement du tiroir caisse et non des stocks et de leur variation contrairement à la comptabilité de n’importe quelle PME.

Pris au pied de la lettre, la croissance du PIB nous encourage à surconsommer pour produire davantage de «richesses». La croissance de la consommation engendrerait une croissance du PIB salutaire. Ce dogme semble particulièrement bien adopté aux USA tant dans la croissance horizontale de l’embonpoint de la population que de l’espace mémoire nécessaire pour qu’un ordinateur affiche «coucou» à l’écran.

Faut-il pour autant en déduire par opposition que le salut est dans la décroissance ? de quoi ? du PIB ? de la consommation ?

Nicholas Georgescu-Roegen, le pape de la décroissance, écrit que la consommation des matières premières conduit à leur épuisement. Dans son ouvrage sur la décroissance, il expose les limites du recyclage en affirmant que l’or de votre alliance se dissémine irrémédiablement dans la nature selon le deuxième principe de la thermodynamique et que les particules de pneus abandonnées le long des routes ne pourront jamais être recyclées. Les stocks de toute matière sont ainsi condamnés à se raréfier inéluctablement quelque soit le rythme de consommation.

Je ne partage pas cet avis.

Les particules de pneu abandonnées sur la route finiront par s’oxyder en H2O et CO2 lesquels rentreront dans leurs cycles respectifs, mus par l’énergie solaire, pour redonner de la biomasse laquelle peut-être transformée en pétrole pour redonner un beau pneu tout neuf.

De même, sur un terme très long, les minéraux soumis à des réactions physico-chimiques complexes peuvent être amenés à se concentrer dans des gisements hors desquels, grâce à l’énergie, on pourra les concentrer pour les réutiliser indéfiniment.

Seules les réactions nucléaires détruisent à jamais les éléments de la matière. Une fois le stock d’uranium épuisé ou raréfié, il n’y aura plus de débat sur la sortie du nucléaire.

L’énergie peut toujours réordonner le désordre d’un système. C’est ce que les physiciens appellent parfois le troisième principe de la thermodynamique : les structures dissipatives. En fournissant de l’énergie à un système on peut créer des structures alors que la tendance naturelle les conduit au chaos. Ce principe a pu mettre en place des structures dissipatives aussi évoluées que la vie et nous-mêmes. Sans un flux quotidien d’énergie chimique, notre corps se meurt. Il retourne en poussière. De même, la plante requiert du rayonnement solaire pour croître en associant le carbone du CO2, l’eau, l’azote, un peu de phosphate et de potassium.

Globalement, donc, l’Univers tendrait vers le chaos mais localement, notre minuscule petite planète perdue au milieu d’un vide hostile reçoit chaque année plus de 6.000 fois la quantité d’énergie que l’humanité consomme actuellement. La biomasse n’en capte même pas un pour mille.

Capturée, domptée, cette énergie inouïe ou même une fraction tenue de celle-ci pourrait largement permettre la croissance de notre confort et de notre bien être matériel en satisfaisant nos besoins de base: se nourrir, boire, se déplacer, se loger, se chauffer, se soigner mais aussi s’instruire, se distraire… En fait, quasi tous les actes humains réclament de l’énergie et transforment de la matière, même dormir ou penser.

La croissance ou la décroissance de la consommation des stocks sont de faux problèmes qui ne conduisent l’humanité nulle part. Ce sont les flux d’énergie du soleil combinés aux cycles naturels ou artificiels qui nous permettrons de vivre, probablement mieux et pendant des millions d’années.

Laurent Minguet


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