04 mai 2005

Prix pétroliers: moins de démagogie, plus de pédagogie

Carte blanche publiée dans Le Soir des 9 & 10 avril 2005

La régulière et forte augmentation des prix du pétrole suscite à juste titre des inquiétudes, sociales et économiques.

La réponse la plus demandée pour répondre à ces inquiétudes est bien sûr de diminuer les accises sur les produits pétroliers comme l’essence et le diesel (diminuer la TVA demanderait un accord européen qui n’est pas en vue pour le moment). Le Premier Ministre y est, on le sait, favorable.

Ce n’est pourtant pas la bonne solution. D’abord parce qu’elle n’arrange pas grand chose voire rien du tout pour les produits déjà détaxés (ex : pour l’agriculture) ou sur lesquels il n’y a pas d’accises (mazout de chauffage). Ensuite parce qu’elle profitera aussi à ceux qui ont acheté des voitures qui consomment beaucoup, par exemple ceux qui ont acheté le 4X4 Volkswagen Touareg V10 (17,9 litres/100 km !), déclaré le véhicule le plus polluant par l’Agence française de l’environnement, ou des monstres semblables. Aussi parce que cette mesure profitera plus aux classes moyennes supérieures et aux riches, dont la mobilité routière est plus élevée. En-fin, parce que cette approche considère les automobilistes comme une catégorie homogène alors que certains paient eux-mêmes leur consommation automobile et que d’autres se la font payer par leur entreprise, alors que certains déduisent fiscalement leurs dépenses automobiles et d’autres non, alors que certains utilisent la voiture surtout pour des raisons professionnelles et d’autres moins.

D’un point de vue prospectif, réduire la fiscalité pétrolière enverrait un signal trompeur au consommateur mais aussi au citoyen ; en effet, les prix pétroliers sont appelés à rester dura-blement élevés. L’absence de courage politique et de pédagogie citoyenne dans les questions énergétiques depuis une vingtaine d’années se fait ici sentir. Dernière difficulté : à plus court terme (avec des délais certes variables), les prix des autres produits énergétiques vont s’ajuster ; comment atténuera-t-on les hausses des prix des autres énergies (qui ne subissent pas d’accises) alors qu’ils sont d’une manière ou d’une autre ajustés sur le prix du pétrole brut ?

Que faire alors ? D’abord retenir la leçon et s’en convaincre : nous allons devoir apprendre à vivre avec une énergie plus chère, ne nous laissons plus surprendre, préparons-nous sans atermoiements. Dans l’immédiat (cela peut aller très vite), il faut transformer la crise en op-portunité, pour modifier le système de (re)distribution des revenus et son financement. Si on estime nécessaire de soulager l’automobiliste, le camionneur et, en général, le consommateur d’énergie, on peut choisir parmi une palette de mesures comme une réduction forfaitaire des précomptes professionnels et / ou des cotisations sociales, y compris personnelles, une augmentation forfaitaire des prestations sociales, une baisse des taxes fixes qui pèsent sur l’usage de l’automobile et / ou les assurances (cette dernière mesure contribuerait à rééquilibrer un peu les dépenses fixes par rapport aux dépenses variables dans l’usage d’une auto). Tout vaut mieux et est plus efficace et plus juste qu’une réduction des accises. A moyen terme, il importera de prolonger cette première étape en taxant le kérosène pour avions, en ajustant la taxation de l’avantage fiscal apporté par les voitures de société et en rééquilibrant les prix énergétiques (il ne faudrait pas que l’explosion des prix pétroliers génère une augmentation de la consommation d’électricité par exemple).

Au total, il s’agit à la fois de garder les signaux du marché (ceci devrait plaire aux libéraux quand ils le sont vraiment) et de prendre des mesures pour non seulement atténuer dégâts sociaux et économiques mais aussi créer de l’emploi et améliorer la redistribution des revenus (ceci, convenablement expliqué, devrait plaire à tout le monde). Encore faudra-t-il expliquer et convaincre que les mesures les plus simples ne sont pas ni les plus justes, ni les plus efficaces. Un peu moins de démagogie donc, et un peu plus de pédagogie.

Philippe Defeyt
Economiste, Institut pour un Développement Durable

Commerce international: bénéfices et mythes

La théorie de Ricardo néglige cependant les coûts liés au transport.

Si ceux-ci sont importants par rapport au bien transporté, l’intérêt du commerce international peut disparaître. Cela dit, le transport intercontinental par bateau coûte aujourd’hui 15€ par tonne plus 5 € de transport fluvial environ. Il est donc toujours plus avantageux d’importer le charbon en Europe que de l’extraire. Les apôtres du libre-échange feront pression pour que les coûts du transport restent bas en négligeant notamment les coûts environnementaux : marées noires, rejets du fuel en mer et du CO2 dans les airs, nuisances sonores, dégradation des routes, accidents...

Les taxes douanières ou les contraintes administratives du pays importateur entravent également le libre-échange. Ainsi, en 1981, la France avait imposé que tous les magnétoscopes japonais se fassent contrôler dans le petit bureau de Poitiers par une demi-douzaine de douaniers tatillons. Les Japonais stoppèrent leurs ventes et leur gouvernement porta plainte à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui arbitre ce genre de conflit.

Face à une main-d’œuvre bon marché puisqu’elle n’intègre que peu de coûts sociaux (pensions, allocations de chômage, allocations familiales, couverture médicale...), les productions occidentales résistent par l’augmentation de la productivité qui consiste à investir davantage dans l’outil pour réduire la main-d'œuvre afin de maintenir ses avantages compétitifs. Cela crée du chômage, mais conserve le moteur économique. Hélas, cette course à la productivité n’est pas toujours tenable et l’industrie doit souvent se résoudre à fermer ses usines ou à les délocaliser, ce qui revient au même pour le travailleur mis à pied.

Comme nous l’avons vu dans notre précédente lettre (http://chroniques.lucpire.be/minguet/now_future/html-n/ch02s03.html#d0e528), nous ne sommes pas plus riches en brûlant 4 tonnes de mazout au lieu d’une seule si cette dernière a permis de chauffer pareillement votre habitation thermo-efficace. De même, quand une maison brûle, il faudra en construire une nouvelle. Cela augmentera le produit intérieur brut (PIB), mais pas la richesse. Au contraire, il faudra consommer des richesses monétaires ou minérales ainsi que de la main-d'œuvre pour revenir à la situation de départ. En fait, tout ce qui consiste à reconstruire ou refabriquer ne constitue pas un enrichissement. Le carrossier qui répare une tôle froissée, le médecin qui soigne un fumeur malade ou une jambe cassée, augmentent le PIB sans créer de richesse. Le résultat aurait été identique si le conducteur avait été prudent, le fumeur abstinent ou le skieur moins téméraire.

Le Sénégal en importe de Hollande au lieu de les cultiver alors que le rendement dépasserait 50 tonnes à l’hectare. C’est parce que l’oignon hollandais, malgré le transport, revient un rien moins cher à Dakar que l’oignon sénégalais cultivé actuellement. Comment expliquer ce paradoxe alors que l’ouvrier agricole hollandais coûte 15 fois plus que le sénégalais ? D’une part, les aides agricoles européennes à la production et à l’exportation diminuent artificiellement le prix de vente de nos oignons. D’autre part, l’infrastructure routière européenne permet le transport aisé entre les lieux de production, de transformation et d’expédition. Ensuite, la technologie agricole permet d’augmenter les rendements alors que la production de biomasse en Casamance, au sud du Sénégal est, par nature, environ 3 fois plus importante que sous nos latitudes. Le même scénario se produit pour les céréales, les légumes, les fruits pour un total de 500 M€ par an. Il faudrait donc que le Sénégal produise lui-même son alimentation en exploitant convenablement (et durablement !) ses 38.000 km² de terres arables. Il s’enrichirait alors de 100 M€ par an au lieu de s’appauvrir dans une spirale d’endettement.

D’autres pistes d’enrichissement pourraient s’ajouter, le tourisme, la production d’énergies renouvelables en captant les flux solaires (solaire direct, vent, pluie, biomasse...). Nous en reparlerons ultérieurement.

Par contre, il serait contre-productif, et de toute manière impossible, que le Sénégal cherche à produire tous les biens qu’il consomme : ordinateurs, voitures, avions, bateaux... Cela consommerait trop de capital et de matière grise pour un résultat vraisemblablement médiocre. Il faut davantage miser sur les points forts de la Casamance : des terres riches, une pluviosité plus abondante qu’en Belgique, une main-d'œuvre bon marché, un climat agréable...