14 février 2005

Le communisme chinois est-il soluble dans l’alcool de riz?

Le gouvernement de Mao Zedong, fort de son enthousiasme idéologique, avait en 1953, lancé la première collectivisation des terres arables en espérant « rattraper le Royaume-Uni en quinze ans ». Mais il est, en politique, des emportements que la réalité met à mal aussi vite qu’ils ont été conçus. Le rêve d’une ruralité à la ville et d’une ville à la campagne, d’une bourgeoisie égale au prolétariat, d’une intelligentsia proche des masses illettrées emmêlait utopies et visions géniales, espérances et douleurs à venir.

Le « Grand bond en avant » des ces années de propagande et d’élans fabuleux allait devenir un cauchemar, surtout pour les paysans. Le premier plan quinquennal (1953-1957), passée l’euphorie du début, allait mener des millions de paysans chinois vers la ruine et la famine.

Le mot d’ordre était de mettre la Nature au service de la cause idéologique. Ce fut le temps des répressions d’intellectuels qui mettaient en garde contre cette vision folle du monde. Mais, on ne défie pas impunément les lois de la Nature sans conséquences graves. A force de vouloir imposer le progrès industriel pour rattraper le retard par rapport à l’Occident, la PC de Mao Zedong, avait fini par initier un vaste mouvement de déforestation. Le bois était nécessaire pour alimenter les petit hauts fourneaux que des millions de citoyens avaient installés dans leur arrière-cour, suite aux injonctions des autorités...Les conséquences furent impitoyables : en 1960, le pays vécut l’une des plus grandes famines que le monde ait connu ; entre 40 et 60 millions de personnes moururent, des millions de paysans durent quitter leurs terres et chercher espoir dans les villes. La campagne était pauvre comme jamais. Ce qui est appelé « urgence utopique » ne fut que désolation.

Tous les efforts étaient durant cette période tournés vers cette industrialisation massive, individuelle et anarchique malgré la gigantesque administration qui devait la gérer. On fabriquait de l’acier car il en fallait pour porter la Chine au même niveau que l’Occident. (*) Tout cela se fit au détriment des travaux des champs et surtout du respect de la Nature. La déforestation prit des proportions dantesques ; là où le terrassement permettait une culture régulière et assez abondante, on fit creuser des canaux, dresser des barrages, ce qui provoqua des envasements, les terres alluviales rétrécirent comme peau de chagrin, l’érosion des sols arables acheva le tableau de dévastation des campagnes en ces années là.

Dans le même mouvement, des millions de paysans furent déplacés des zones côtières et relocalisés dans le centre du pays, là où n’existaient pas les écosystèmes favorables aux cultures traditionnelles ; d’autres écosystèmes furent détruits, des lignes de chemin de fer, destinées à promouvoir la mobilité des échanges commerciaux, aboutirent dans des déserts...La marche forcée de la Chine du Grand Timonier vers le progrès prit des allures de galère, y compris pour les plus cultivés. Les intellectuels (souvent de simples lycéens) durent travailler aux champs pour « ...enseigner aux paysans » selon Mao Zedong.

En résumé, cette politique mettait en conflit ouvert les hommes et l’environnement.

Aujourd’hui, les conséquences sont encore visibles, la déforestation, l’érosion des sols provoquent des tornades de poussière de sable. Des villes sont obscurcies par des nuages qui piquent aux yeux (il n’est pas rare de devoir pelleter devant sa porte à Beijing...) Le désert gagne chaque année 3.600 Km². Le terrassement des montagnes, l’assèchement de certains lacs contribue encore à déstabiliser un écosystème multiple, plus grand que l’Europe. Des estimations font état de 8 à 12 % du PNB qui, chaque année, sont destinés aux sinistres et à l’entretien et réparations des infrastructures abîmées ou détruites pas les colères de la Nature (inondations régulières, sécheresse...)

Le très sérieux Earth Policy Institute rapporte que les récoltes de grains sont dramatiquement en baisse en raison du rétrécissement des surfaces arables, passées de 90 millions d’hectares à 76 millions d’hectares en 2003. Cette même année, le Chine à récolté 322 millions de tonnes de grains, contre 392 millions en 1998 (récolte exceptionnelle), cet écart de 70 millions de tonnes, sur papier si modeste, représente l’équivalent de la production canadienne de grains...(1) et autant de difficultés face à la demande croissante et aux modifications des habitudes alimentaires de Chinois.

Face à ces défis urgents, la Chine moderne et économiquement triomphante semble fort dépourvue, maintenant que la brise est venue...La Grande Muraille Verte tient du marketing international plutôt que d’une réponse sensée (voir article ci-contre « La Chine s’est-elle vraiment éveillée ? ») L’élan commercial qui depuis une vingtaine d’années porte ce pays autorise, semble-t-il, tous les abus. En matière de politique intérieure, la Chine reste une dictature, les libertés d’expression sont étroitement surveillées, (Tian An Men est encore dans tous les esprits) ; l’Etat fortement centralisé souffre d’une carence démocratique intrinsèque à son mode de fonctionnement, les organisations de défense de l’environnement sont à peine tolérées et doivent se limiter à des actions symboliques, toujours sous contrôle ; la corruption est généralisée et gangrène tout le système administratif. Les réformes des années 1980 permettaient aux paysans d’avoir accès à des beaux de trente ans pour des terres ; les pouvoirs locaux ont été chargés d’appliquer ces nouvelles directives de l’Etat central. Des fonctionnaires en poste, se fichant des intérêts des paysans, ont, grâce à la menace et à la corruption, pu se créer de petits royaumes sur lesquels ils règnent en maîtres. Les prises de décisions pyramidales favoriseront ces dérives tant que la parole ne sera pas donnée aux paysans et qu’on ne leur ait pas donné de vrais moyens pour résoudre leurs problèmes. Le centralisme absolu laisse la porte ouverte aux collusions entre les pouvoirs locaux et la criminalité.

Alors, imaginer que les paysans s’organisent en un syndicat ? Utopie aussi car, vu la taille du pays et le nombre de membres...d’autant que le PC au pouvoir ne verra pas d’un bon œil, c’est un euphémisme, cette société civile nouvelle. Pourtant trouver des solutions est urgent : il y a de plus en plus d’habitants dans les zones rurales (70% de la population totale, soit 900 millions de personnes) et de moins en moins de terres à partager. (**) La libéralisation des terres semble elle aussi compromise tant les édiles locaux n’attendent que ça pour faire main basse sur les meilleures. L’enrichissement rapide est au menu politique et social des potentats locaux.

Si le tableau dressé ici n’est pas des plus flatteurs pour le gouvernement actuel, on attend des décisions claires suivies d’effets tout aussi clairs et non des projets pharaoniques comme le barrage des Trois gorges qui à déplacé plus d’un million de personnes et crée, artificiellement et brutalement, un écosystème en en détruisant beaucoup d’autres.

Le développement durable n’est pas uniquement la mise en harmonie de l’économique, du social et de l’environnement, c’est un concept qui requiert du courage dans les prises de décision ; surtout celui de mettre en place des politiques qui dépassent dans la durée le mandat des élus et, même leur vie sur cette terre si mal en point.

Alfonso ARTICO



Notes

1) VertigO Vol 5 N° 2 septembre 2004
*) L’acier produit était souvent de si mauvaise qualité qu’il était inutilisable.
**) Dans les campagnes, ne sont pas suivies les directives d’Etat sur l’obligation de n’avoir qu’un seul enfant par famille.

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