26 février 2007

Des pellets dans une centrale préhistorique


Récemment, Electrabel reconvertissait l’unité «charbon» de sa centrale des Awirs, près de Liège, en unité «biomasse». Une opération à la fois bonne pour son image, pour l’environnement, mais surtout pour le portefeuille de la compagnie qui peut ainsi prolonger la vie d’une centrale préhistorique au rendement médiocre...

C’était en novembre 2005. Electrabel inaugurait la reconversion d’une unité de la centrale électrique des Awirs, à Seraing. Désormais, l’unité Awirs-4 ne brûle plus du charbon mais bien de la biomasse sous forme de pellets issus de forêts gérées durablement. Selon l’ASBL Forêt wallonne (1), il s’agit de la première centrale européenne de biomasse de grande importance (80 MW). Chaque jour, quelque 1200 tonnes de granulés de bois arrivent par la Meuse essentiellement du Canada et de Pologne pour alimenter la chaudière de l’unité (2). Ils sont stockés, broyés, puis la poussière obtenue est brûlée. La vapeur d’eau produite fait alors tourner une turbine génératrice d’électricité. La seconde unité de la centrale des Awirs fonctionne, elle, toujours au mazout et au gaz naturel…

Moins de 40% de rendement

Mais pourquoi diable Electrabel a-t-elle investi 6,5 millions d’euros dans cette transformation des Awirs alors que les pellets brûlés coûtent plus cher que le charbon? Serait-ce pour soigner son image? C’est sans doute une partie de la réponse. «La combustion de biomasse aux Awirs est en fait l’arbre qui cache la forêt, explique Jean-François Fauconnier, responsable de la campagne «climat» chez Greenpeace. Ces dernières années, Electrabel a surtout investi dans des centrales nucléaires, au charbon et au gaz. En 2004, la part des sources d’énergie renouvelables dans la production électrique totale d’Electrabel en Belgique était de 0,6% (3)
Mais pour l’association écologiste, les vraies motivations du producteur d’énergie résident ailleurs. En effet, la centrale des Awirs a été construite voici plus de… 50 ans. Elle est donc vieille et son rendement médiocre. «Moins de 40% de l’énergie primaire y est transformée en électricité. Le reste est perdu sous forme de chaleur, en grande partie via les tours de refroidissement et cheminées, avec un gaspillage gigantesque à la clé.» Pour Greenpeace, donc, la transformation des Awirs présente toutes les apparences d’un «lifting vert» destiné à prolonger la durée de vie d’une centrale complètement obsolète en regard des standards de rendement actuels qui sont de 85 à 90% pour la cogénération (4).

Un bug dans le système

Mais surtout, selon Jean-François Fauconnier, la motivation principale d’Electrabel serait d’ordre financier: le producteur d’énergie va obtenir, grâce au lifting des Awirs, quelque 400.000 «certificats verts» pour la production d’électricité «verte» (lire Certificats verts: kezako?!?). Ainsi, grâce aux Awirs, une centrale préhistorique au rendement plus que médiocre, Electrabel va pouvoir atteindre les quotas assignés par la Région wallonne en matière de production d’électricité «verte». Et donc éviter ainsi de payer de lourdes amendes. A 100 euros le certificat vert manquant, Electrabel empoche virtuellement 40 millions d’euros par an (5).
Pour Greenpeace comme pour le Conseil flamand pour l’environnement et la nature (Mi-Na Raad), il y a un sérieux «bug» dans le système. Qui devrait dès lors être réformé. En effet, attribuer des certificats verts à des installations amorties depuis longtemps décourage la construction de nouvelles installations fonctionnant exclusivement avec des sources d’énergie renouvelables. D’après les calculs de Jean-François Fauconnier, l’investissement d’Electrabel pour la transformation des Awirs a été amorti en moins de quatre mois.
Bonne affaire, en effet...
D.L.

(1) Forêt MAIL n°18.
(2) Plusieurs projets de constructions d’unité de fabrication de granulés sont en cours en Région wallonne, notamment à Bièvre où la société Granubois compte produire quelque 18.000 tonnes par an.
(3) Rapport annuel 2004 d’Electrabel.
(4) De plus, selon le Rapport environnemental 2004 d’Electrabel, moins de 8% de l’électricité produite en Belgique par l’entreprise énergétique le sont dans des centrales de cogénération... contre 30% aux Pays-Bas et 50% au Danemark.
(5) L’entreprise pourrait même, à l’avenir, revendre ses excédents de certificats (prix actuel du marché: environ 91 euros pièce).



En savoir plus:
Reportage dans la centrale des Awirs (février 2007).
Article de Didier Marchal (ValBiom) dans Silva Belgica (janvier 2006).

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Certificats verts : kezako ?!?


Les «certificats verts», c’est un ingénieux système destiné à stimuler la production d’électricité «verte» en mutualisant les investissements. Explications.

En Belgique, les producteurs d’électricité «verte» reçoivent des «certificats verts» de la Commission wallonne pour l’énergie (CWaPE), proportionnellement à l’économie de CO2 générée par leur mode de production: chaque tranche de 456 kg de CO2 économisé donne droit à un certificat vert. L’exploitant d’une centrale au charbon n’en reçoit donc aucun. Si, par contre, il fait de la cogénération (chaleur et électricité), même à partir d’énergie fossile, il en obtient. Mais beaucoup moins, évidemment, que s’il exploite une centrale 100% éolienne ou hydroélectrique.

Une fois leurs certificats en poche, les producteurs peuvent les vendre sur un marché «virtuel» à tout acheteur intéressé, indépendamment de la vente de l’électricité physique. Si le marché n’en veut pas, un prix minimum de 65 euros est garanti par la Région wallonne.

De leur côté, les fournisseurs d’électricité belges sont obligés de vendre à leurs clients (vous, par exemple) un quota d’électricité «verte», fixé par le gouvernement. Pour ce faire, ils sont obligés d’acheter des «certificats verts» aux producteurs d’électricité «verte» qui les vendent à un prix susceptible d’osciller entre 65 et 100 euros. Actuellement, ce prix est relativement stable et s’élève à 92 euros environ (1). Les fournisseurs de courant répercutent bien évidemment le coût des certificats verts sur la facture qu’ils adressent à leurs clients (vous, toujours).

Tous les trois mois, la CWaPE fait les comptes. Chaque fournisseur doit lui remettre un quota de certificats proportionnel à la quantité totale d’électricité («verte» et/ou «grise») fournie à ses clients. S’il n’a pas acheté son quota aux producteurs, le fournisseur doit payer une amende de 100 euros par certificat manquant. Parallèlement, sur base des relevés de compteur d’électricité verte générée, la CWaPE distribue aux producteurs les certificats verts auxquels ils ont droit.

Ainsi, en faisant supporter son financement par l’ensemble des consommateurs (100 millions d’euros environ en 2005), le système des certificats verts permet à chacun, riche ou pauvre, de choisir un fournisseur d’électricité «vert». «Si la comparaison était de mise, écrit le magazine Imagine, le commerce équitable et l’agriculture biologique seraient jaloux! Contrairement à l’électricité verte, financée par tous, les consommateurs responsables, et eux seuls, apportent un réel et bien nécessaire revenu complémentaire aux producteurs bio et équitables (2)
D.L.

(1) Le cours des certificats verts est disponible sur le site Internet de la Commission wallonne pour l’énergie.
(2) «De l’électricité verte? Je veux!», Imagine, mars 2006, p.17.

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