04 octobre 2005

Tout ce qu’hybride n’est pas or...

Les véhicules hybrides s’arrachent comme des petits pains aux Etats-Unis et font de plus en plus parler d’eux en Europe. Effet de mode ou réelle avancée technologique? Zoom sur une technologie «verte» qui est encore loin d’avoir atteint la maturité...


La voiture hybride est-elle l’avenir de l’automobiliste moderne? Pour de nombreux experts, elle se profile en tout cas comme l’étape technologique intermédiaire entre les voitures actuelles, à moteur thermique, et la voiture électrique alimentée par une à pile à combustible. Ses atouts: une consommation modeste (4,3 litres aux 100 pour la Toyota Prius; 4,7 litres pour la Honda Civic IMA), une pollution de l’air minimale (norme EURO 4) et quasi pas de bruit en mode électrique. Son prix, par contre, reste le principal obstacle à sa généralisation. Véritable concentré de nouvelles technologies, la Prius n’est pas encore rentable en regard des investissements en recherche et développement dont elle a fait l’objet.

Gros modèles uniquement

Pour cette raison, notamment, ce n’est pas demain la veille que Toyota ou Honda sortiront de petites citadines hybrides. Celles-ci coûteraient de 50% à 60% plus cher qu’un modèle équivalent à essence ou diesel, reconnaît-on chez Toyota. Ainsi, seuls les «gros» modèles, déjà chers, sont susceptibles de «diluer» le coût de cette technologie 100% japonaise, déjà achetée sous licence par Ford et Nissan. Ceux-ci annoncent chacun la commercialisation d’un hybride en 2006 aux Etats-Unis. De son côté, le groupe automobile allemand Volkswagen va développer, en partenariat, un hybride pour le marché chinois. Les premiers véhicules, des monospaces Touran, devraient être livrés aux organisateurs des Jeux olympiques de Pékin en 2008. Volkswagen travaille également sur d’autres projets de moteur hybrides, essence et électricité, pour les marchés européen et étasunien. Par ailleurs, Audi travaille avec sa maison-mère Volkswagen et son rival Porsche sur un moteur hybride, qui équipera notamment le nouveau tout-terrain Q7 d’Audi. Enfin, General Motors, DaimlerChrysler et BMW s’apprêtent à coopérer pour développer eux aussi un moteur hybride. Bref, cette technologie «verte» semble bien avoir le vent en poupe chez de nombreux constructeurs. Pour les beaux yeux de la planète? Pas du tout. Comme l’a observé Jean-Martin Folz, PDG de PAS Peugeot-Citroën, au dernier salon de l’automobile de Francfort, les annonces récentes de Volkswagen, BMW ou Porsche «concernent d’énormes voitures avec d’énormes moteurs. Le but n’est donc pas de réduire la consommation automobile globale, mais de rendre un peu plus acceptables ces voitures» (1).

Aujourd’hui, qui roule «hybride» sur la planète? Sur les quelque 154.000 véhicules de ce type vendus dans le monde en 2004, 39% l’ont été au Japon, mère-patrie de cette technologie, et 52% aux Etats-Unis (2). Le marché du Vieux Continent se classe donc très loin derrière...

En Californie, les gros pickups sont de plus en plus souvent délaissés au profit des hybrides, à tel point que les listes d’attente pour obtenir une Prius, par exemple, atteignent plusieurs mois. Entre 2000 et 2004, les ventes de véhicules hybrides aux Etats-Unis ont déjà progressé de plus de 1.000%. Et selon le site spécialisé Hybridcars.com, «on serait à la veille d’une explosion des ventes». Il est vrai que les hybrides sont «vachement cool» depuis que des stars comme Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Kirk Douglas, Jack Nicholson ou encore Cameron Diaz les ont adoptées... Si, pour l’instant, elles représentent encore moins de 1% des véhicules particuliers vendus chaque année aux Etats-Unis, ce chiffre double néanmoins tous les ans (3). Et avec 64% de parts de marché, la Prius occupe une place confortable face à sa principale rivale actuelle, la Civic IMA (31%).

Une hybridation limitée

Mais si elles emballent les Etasuniens, les hybrides de série actuelles ne provoquent guère d’engouement chez les spécialistes. «Sur le plan technique, cela reste des véhicules à faible taux d’hybridation: ils ne disposent pas de réelle autonomie en mode électrique "pur" et leur moteur électrique est d’une puissance nettement inférieure à celle du moteur thermique», précise Nicolas Naniot, ingénieur électromécanicien chez Green Propulsion, une spin-off de l’université de Liège qui développe des prototypes hybrides depuis 2001.

En effet, la batterie embarquée dans la Prius et la Civic IMA se recharge en roulant, lorsque le moteur thermique a atteint un bon rendement. Elle récupère également une partie de l’énergie cinétique lors des freinages. Mais son autonomie est tout à fait anecdotique: 2 kilomètres pour la Prius en mode électrique pur. La Civic IMA, elle, ne fonctionne jamais en mode 100% électrique. C’est pourquoi certains la qualifient d’hybride «light».

Dans leur laboratoire du Sart-Tilman, les ingénieurs de Green Propulsion –qui s’étaient fait remarquer en 2003 avec un prototype de VW Lupo hybride n’émettant que 60 g de CO2 par km–, poussent l’hybridation beaucoup plus loin que Toyota ou Honda. Comment? En utilisant des batteries au Lithium-ion (Li-ion) rechargeables sur secteur. C’est le principe des véhicules «plug-in» (que l’on branche sur la prise), qui ont deux principaux avantages: l’autonomie des batteries Li-ion est beaucoup moins limitée (environ 50 kilomètres actuellement) et l’électricité utilisée pour les recharger est générée par des centrales électriques au rendement optimal (ce qui est loin d’être le cas des moteurs thermiques!).

Green Propulsion augmente également le degré d’hybridation de ses prototypes via la technologie dite de l’hybridation «combinée série/parallèle»: grâce à une gestion électronique de pointe, il s’agit de marier au mieux les forces des deux types de propulsion thermique et électrique, en fonction des situations rencontrées.

Voitures et bus «plug-in»

Récemment, la spin-off liégeoise a présenté un prototype de Renault Kangoo diesel hybridé selon cette technologie. Un véhicule qui ne rejette que 93 g de CO2 par km pour une consommation moyenne de... 1,1 litre aux 100 kilomètres! Le hic, c’est que ces hybrides «plug-in» restent de coûteux bijoux technologiques. Green Propulsion a investit plus de 380.000 euros en recherche et développement pour concevoir cette Kangoo qui a reçu le second prix de l’innovation au salon EVS 21 des véhicules électriques hybrides et à piles à combustible, à Monaco, en avril dernier. «Pour en produire aujourd’hui une copie conforme, il faudrait environ 90.000 euros», explique Yves Toussaint, administrateur délégué de la spin-off. «Rien que pour les batteries, il faut compter 20.000 euros», ajoute Nicolas Naniot.

Les ingénieurs de Green Propulsion, qui planchent actuellement sur un bus hybride «plug-in» de 12 mètres de long, espèrent séduire les gestionnaires de flottes de véhicules utilitaires et de transports en commun. Une commande pour un premier prototype vient d’ailleurs d’être passée par la Société régionale wallonne des transports (SRWT). Le prototype, qui devrait être opérationnel fin 2006, roulera à Liège sur la ligne 58 reliant le centre-ville au campus du Sart-Tilman. Il utilisera la configuration hybride combinée développée sur la Kangoo avec, en première, des batteries au lithium-polymère. Par leurs itinéraires prédéfinis et leurs arrêts fréquents, les bus présentent un potentiel important en matière de réduction d’émissions de gaz polluants. «Nous pouvons nous attendre au minimum à 25% de réduction d’émissions de CO2», assurent les ingénieurs de la spin-off.

CO2 ou batteries polluantes?

Si, en termes de gaz d’échappement, les hybrides sont aujourd’hui les véhicules les moins polluants du marché, ils ont néanmoins un sérieux talon d’Achille: les batteries. Tout l’enjeu environnemental des véhicules hybrides se trouve ici: faut-il rejeter moins de CO2 (environ 20%) en ayant recours à des batteries polluantes ou pas? La réponse, qui dépend de multiples facteurs incertains, n’est guère évidente.

La Civic IMA, la Prius, et la Lexus RX400h sont toutes trois équipées d’une batterie Panasonic (Matsushita) au nickel métal-hydrure (NiMH), respectivement de 28 kg, 39 kg et 69 kg. Ces batteries, garanties 8 ans, contiennent divers composants, notamment de l’oxyhydroxyde de nickel, de l’hydroxyde de potassium, du lanthane et du vanadium (métaux rares), ainsi que du titane et du zirconium (métaux de transition) (4).

L’exposition chronique au nickel est un facteur de risque de cancer du poumon. L’hydroxyde de potassium (KOH) réagit violemment avec l’eau, est irritant et corrosif pour la peau, les yeux, les voies respiratoires et digestives. Un recyclage efficace est donc important. Actuellement, toutes les batteries défectueuses sont renvoyées au Japon chez Panasonic, «qui se charge du recyclage». A terme, celui-ci devrait être effectué en France par la SNAM (5). Toyota Belgique n’a pas été capable de nous fournir le taux de recyclage précis des batteries obtenu par son partenaire Panasonic. Quant à la SNAM, contactée par courriel à plusieurs reprises, elle n’a jamais daigné répondre à nos questions.

Recyclage pas encore au point

L’explication de ces silences se trouve sans doute sur le site Internet de SAFT, un producteur de batteries NiMH, qui précise que le processus de recyclage est toujours «en cours de développement» (6). Et effectivement, selon Tom Dougherty, directeur du département Advanced Battery and Hybrid Systems chez Johnson Controls, il n’existe pas à l’heure actuelle de filière de recyclage efficace et peu coûteuse pour les batteries NiMH, comme il en existe par exemple pour les batteries au plomb qui équipent tous les véhicules à moteur thermique (7). Information confirmée par Daniel Cheret, docteur en physique-chimie (CNRS) et Business Development Manager Battery Recycling au sein du groupe Umicore (lire «Les batteries, une charge pour l’environnement»).

Historiquement, les batteries NiMH ont émergé dans les années 90 pour remplacer les batteries au nickel-cadmium (NiCd), bien plus dangereuses pour la santé et l’environnement. Le cadmium est un métal lourd très toxique et cancérigène. Il peut notamment engendrer des complications aux reins, au foie et aux os. En Europe, ces batteries NiCd sont interdites depuis quelques mois seulement dans les jouets et les petits appareils portables (GSM, caméscopes, etc.). Mais pour toutes les autres applications (outils électriques, batteries industrielles, etc.), elles sont toujours autorisées malgré l’existence d’alternatives beaucoup plus «douces» pour l’environnement (8).

Aujourd’hui, la demande de véhicules hybrides aux Etats-Unis est telle que la production de batteries NiMH ne suit pas. Ford, qui commercialise notamment un 4x4 hybride (Escape), est le seul constructeur à avoir tiré publiquement la sonnette d’alarme, et ce à plusieurs reprises (9). C’est bel et bien cette pénurie qui explique les longues listes d’attente présentes chez tous les concessionnaires US.

Le lithium n’arrangera rien

Demain, les hybrides seront équipés de batteries au lithium (Li-ion ou Li-polymère), comme la plupart des GSM, ordinateurs portables et autres caméscopes numériques actuels. Principal avantage: une grande capacité pour un faible poids (10). Ces batteries offrent ainsi jusqu’à 50% d’énergie en plus que les batteries NiMH et le double de l’énergie des batteries NiCd (11). Concrètement, cela signifiera une bien meilleure autonomie en mode électrique «pur». Soit jusqu’à 300 km d’autonomie pour des vitesses dépassant parfois les 120 km/h, annonce Le Quotidien Auto (12). «Le prix reste néanmoins encore élevé car il n’y a pas de réelle production en série, tempère Nicolas Naniot. Il existe par ailleurs des risques potentiels d’incendie en cas de mauvaise utilisation. Par le passé, quelques accidents se sont produits lors de la mise au point des premiers véhicules équipés de ce type de batteries. Mais ces risques disparaissent avec l’utilisation d’une électronique de surveillance adéquate.» Quid des batteries en fin de vie? «Les sociétés de retraitement annoncent 100% de recyclage des éléments actifs».

Le hic, c’est que ces filières de recyclage sont encore très expérimentales et que la pollution des batteries se trouve également en amont, lors de leur production (lire ci-dessous). Celles au lithium contiennent toute une série de métaux –lithium, bien sûr, mais surtout cobalt, aluminium, cuivre et manganèse– dont l’extraction à partir d’un minerai génère davantage de pollution que celle produite en aval par le métal lui-même. Ce qui renforce l’importance d’un recyclage efficace...

En résumé, pour que les véhicules hybrides se montrent efficaces contre le réchauffement climatique, il faut qu’ils se généralisent massivement et rapidement. Sans quoi les réductions d’émissions qu’ils sont susceptibles d’entraîner ne produiront aucun effet à l’échelle globale. Or, leur essor n’est pas possible aujourd’hui par manque de batteries, dont la production ne suit pas. Par ailleurs, leur généralisation éventuelle entraînera –au moins temporairement– de nouvelles nuisances environnementales liées à la fabrication et au recyclage hasardeux des batteries.

Hybride essence = diesel = 10 arbres

Les réductions de la consommation de carburant –et donc des émissions de CO2– permises par les hybrides peuvent par ailleurs être obtenues à moindre coût, en utilisant par exemple un véhicule diesel équipé d’un filtre à particules. «Le meilleur rendement des motorisations diesel permet d’afficher un gain en CO2 de l’ordre de 20% par rapport aux motorisations essence à performances équivalentes», explique l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (13). Et 20%, c’est exactement la proportion moyenne de CO2 que permettent d’«économiser» les hybrides. Pour Jean-Martin Folz, président de PSA Peugeot-Citroën, «les gains de consommation de la voiture hybride essence n’ont donc pas de sens par rapport aux prix du diesel». Son chef de la stratégie et des produits enfonce le clou: «En combinant les technologies hybrides à la motorisation diesel, on obtiendra la meilleure prestation en termes d’émission de gaz à effet de serre et aussi le résultat le plus bas en termes de consommation» (14). Début 2006, PSA Peugeot-Citroën présentera ainsi un véhicule utilitaire doté d’un moteur hybride diesel, une démonstration sans garantie de fabrication (15).

Autre possibilité pour obtenir les mêmes réductions de CO2 qu’un hybride essence: optez pour un véhicule plus petit et moins gourmand en carburant. Ou encore: conservez votre véhicule actuel et plantez 10 arbres! Dans ce cas, votre consommation de carburant ne changera pas, mais vous éviterez le coûteux investissement que représente l’achat d’un hybride tout en réalisant les mêmes économies de CO2. En effet, sur sa durée de vie, la Toyota Prius permet d’éviter le rejet d’environ 3 tonnes de gaz carbonique (16). N’est-il pas plus simple de planter 10 arbres qui capteront la même quantité de CO2 sur la même période (17)?

David Leloup

(1) «Les constructeurs européens se lancent dans les voitures hybrides», AFP, 13 septembre 2005.
(2) Ce chiffre de 154.000 véhicules immatriculés concerne cinq modèles. Il est loin d’être modeste si on le compare, par exemple, aux 137.000 Renault Laguna ou aux 143.000 Citroën C2 vendues dans le monde l’an dernier («Un micromarché plein d’avenir», Le Journal de l’Automobile, 3 juin 2005).
(3) Le Soir, 15 mai 2005.
(4) «NiMH Batteries Tops in Hybrids», Nickel Magazine, mars 2004.
(5) Société nouvelle d’affinage des métaux, basée à Saint Quentin Fallavier, en Isère.
(6) SAFT, multinationale française, est le numéro un mondial de la production de batteries.
(7) «Nickel Metal Hydride Battery», Carlist.com, mars 2005.
(8) Fin 2004, le Conseil des ministres de l’environnement a décidé d’interdire partiellement les batteries NiCd dans les GSM et autres appareils portables, mais pas dans les outils (foreuses, etc.) ni pour les applications industrielles. Il faut voir là le résultat d’un lobbying acharné
déployé par SAFT (premier fabricant mondial de batteries NiCd), Sanyo et Black & Decker.
(9) «Ford faces battery shortage problem in ’05 for Escape Hybrid», Automotive News, 26 octobre 2004. Et plus récemment, «Ford Asking for More Hybrid Batteries», WardsAuto.com, 12 mai 2005.
(10) le lithium est le solide le plus léger à température ambiante.
(11) «Tout sur les piles», Observatoire bruxellois de la consommation durable.
(12) Le Quotidien Aut, 13 février 2003.
(13) «La guerre du moteur propre a commencé», Le Figaro Economie, 9 août 2005.
(14) «Le hybride a le vent en poupe avec l’envolée des prix à la pompe, Reuters, 13 septembre 2005.
(15) La Libre Belgique, 14 septembre 2005.

(16) Environ 20 g/km (réduction d’émission de CO2) x 25.000 km/an (kilométrage moyen annuel) x 6 ans (durée de vie moyenne d’une auto) = 3 tonnes de CO2.
(17) Le rendement annuel d’une forêt ardennaise est de 3,2 tonnes de bois anhydre (sans eau) par hectare. Dix arbres espacés de 10 mètres chacun occupent en tout 10 ares, soit un dixième d’hectare. Le rendement annuel de ces 10 arbres est donc de 0,32 tonnes de bois anhydre. Sur cinq ans, cela représente un rendement de 5 x 0,32 = 1,6 tonne de bois anhydre. Comme le bois anhydre contient 50% de carbone pur (l’élément essentiel de la cellulose et de la lignine), 1,6 tonne de bois anhydre en contient 800 kg, ce qui correspond à 3 tonnes de CO2 absorbé puisque une tonne de CO2 contient 270 kg de carbone.

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