ITER: l’escroquerie des technocrates
La fusion nucléaire est le rêve ultime des physiciens. Reproduire en laboratoire la réaction qui permet aux étoiles de briller depuis la création de l’Univers. Domestiquer cette énergie formidable permettrait d’alimenter tous les besoins de la planète pour des millions d’années. Comment cela fonctionne-t-il ?
Quand des atomes légers comme l’hydrogène et ses isotopes - le deutérium et le tritium – sont soumis à des pressions et des températures extrêmes, de plusieurs dizaines voire centaines de millions de degrés, deux noyaux fusionnent pour donner un atome d’hélium plus lourd en dégageant beaucoup d’énergie. Ainsi, notre soleil transforme des millions de tonnes d’hydrogène en hélium, chaque seconde, depuis 4 milliards d’années.
Sur terre, la fusion est une réalité puisqu’elle a été expérimentée avec succès dans...les bombes à hydrogène depuis 1952. Ce qui est plus compliqué est de maîtriser cette puissance inouïe pour produire de l’électricité. Bien plus compliqué que de fabriquer un moteur avec de la poudre à canon.
En fait, la réaction nucléaire solaire consiste à transformer 4 atomes d’hydrogène (H1) en un atome d’Hélium (He4) mais celle retenue pour la fusion terrestre requiert un atome de deutérium et un atome de tritium pour fournir un atome d’hélium et un neutron (H2+H3=>He4 + n) car elle se contente d’une plus basse température...seulement 100 millions de degrés.
Malheureusement, le tritium, fortement radioactif, n’existe quasi pas sur terre. Mais le Lithium (Li 6) peut faire l’affaire car il se transforme en tritium dans la réaction nucléaire.
Bref, l’opération consomme deutérium et lithium.
A 100 millions de degrés, la matière est complètement ionisée, les particules ont des énergies énormes qui permettent aux noyaux atomiques de vaincre leur répulsion électrostatique pour fusionner en fournissant davantage d’énergie que celle nécessaire à maintenir ces températures extrêmes. Cet état de la matière s’appelle le plasma. Comme aucun matériau ne peut le contenir, on le confine dans un tore magnétique appelée tokamak, inventé par les physiciens russes vers 1968. Ainsi, la réaction, une fois amorcée, s’entretient au fur et à mesure qu’on ajoute du combustible.
Le site de Cadarache vient d’être choisi pour l’installation du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Réunis, le 30 novembre 2004 à Bruxelles, les 25 membres du Conseil de Compétitivité ont donc confirmé que la bourgade du sud de la France accueillera ce qui sera le plus grand projet scientifique du monde, à la satisfaction de l’Union Européenne et de ses partenaires du projet (Chine, Russie, Corée du Sud), au grand dam des Etats-Unis et du Japon, l’autre candidat malheureux en lice.
Le programme international ITER prévoit la construction d’un tokamak qui pourra expérimenter la réaction deutérium-tritium ainsi que les enceintes protectrices et génératrices de tritium au départ du lithium. Ce prototype coûtera 4.5 milliards d’euros et fonctionnera vers 2015. Ensuite, vingt ans après, on expérimentera un nouveau réacteur appelé DEMO permettant la production d’électricité. On peut espérer que les premières centrales fournissent de l’électricité après 2050. (www-fusion-magnetique.cea.fr)
Hélas, cette panacée risque fort de rester à jamais un rêve éveillé.
Posons-nous d’abord la double question élémentaire de tout processus durable :
- Les combustibles sont-ils pérennes ? (input)
- L’impact sur l’environnement est-il neutre ? (output)
Pour le deutérium, pas de problème, il s’extrait assez facilement à partir de l’eau de mer qui en contient 33 g/m3 pour la bagatelle de 4000 USD le kilo. On pourrait en fournir pendant des millions d’années sans priver les océans d’une matière vitale. Par contre, le lithium est une matière plus rare. Les gisements mondiaux sont estimés à 12 millions de tonnes dont près de 9 millions dans le seul Salar d’Uyuni en Bolivie (www.autreterre.be/projets/bolivie/le_lithium.htm .
Le lithium est un mélange de deux isotopes Li 6 (12%) et Li 7 (88%). La séparation des isotopes est réalisée par un procédé à base de mercure tellement polluant que la Cogema, le leader du combustible nucléaire, recherche une autre méthode de préparation (www.francenuc.org/fr_sites/prov_mira_f.htm) . En se basant sur les gisements de lithium, on pourrait espérer produire 1.4 million de tonnes de Li6 soit de quoi fournir les 13TW de la consommation mondiale pendant environ 350 ans au rythme de 300Kg par GWan. C’est bien mais ce n’est guère plus durable que le charbon.
L’eau de mer contient également du lithium mais seulement 0,17g/m3 soit 0,02 g par tonne d’eau. A cette très faible dissolution, l’extraction risque de coûter plus cher que l’énergie qu’elle produirait. Ensuite, la pollution énorme générée par la séparation isotopique ne permet pas d’envisager une production industrielle de Li6 sans contaminer durablement la planète.
Enfin le lithium est inflammable, explosif et toxique. Sa manipulation à très haute température constitue un risque. Il en est de même pour le tritium produit dans la réaction qui peut se substituer à l’hydrogène dans l’eau et tous les tissus vivants pour s’y fixer en dégageant sa forte radio-activité.
Un autre problème vient de ce que 80% de l’énergie dégagée par le processus se retrouve dans les neutrons qui échappent au confinement magnétique du Tokamak. Ils doivent être absorbés par des matériaux qui deviendront radioactifs avec des périodes courtes ou très longues comme le niobium 94 ou le technétium 95. Les parois internes du réacteur devront donc être remplacées régulièrement et traitées comme des déchets radioactifs. C’est donc faux de prétendre que la fusion thermonucléaire, telle qu’envisagée actuellement, ne produit pas de déchet radioactif. (www.grappebelgique.levillage.org/articles.php?lng=frpg=57 )
Un dernier inconvénient est l’extrême sophistication du processus. Quelques millisecondes de dysfonctionnement et le plasma détruit une installation de plusieurs milliards d’euros permettant l’explosion du lithium en dispersant tritium et autres produits radioactifs.
Encore une fois, l’industrie nucléaire choisit l’adage « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?». Sans doute parce qu’une entreprise privée peut plus facilement générer des profits en vendant des procédés hyper-technologiques très complexes, dont les investissements pharaoniques font largement appel aux finances publiques. Quand bien mêmes seraient levés tous les obstacles techniques, les gisements de lithium seraient pris d’assaut comme les gisements de pétrole ou d’uranium par des instances privées qui s’enrichiront scandaleusement en exploitant cette concession. Sans doute fera-t-on quelques guerres pour contrôler ces puits de richesses. Et, in fine, l’énergie produite sera le fait de sociétés pouvant maîtriser cette technologie peu reproductible car grande consommatrice en capitaux et matière grise. Bien des pays resteront en marge de ce progrès qui renforcera le déséquilibre entre les pays pauvres et riches.
Les dépenses consacrées à la fusion nucléaire dépassent aujourd’hui 12 milliards d’euros auquel s’ajouteront au moins 10 milliards d’euros durant les 20 prochaines années sans le moindre espoir de rentabilité avant 30 ou 40 ans. Aucun financier n’investirait dans pareil plan d’affaires d’autant que les antécédents sont révélateurs comme l’expliquait la revue The Economist en février 2004. Il y a 50 ans déjà, l’industrie nucléaire annonçait la maîtrise de cette énergie après 30 ans. Aujourd’hui, cette échéance n’arrête pas de s’accroître selon la maxime : »plus je sais et plus je sais que je ne sais pas ».
Un ingénieur français travaillant sur le site de Cadarache m’a récemment confié qu’il ne croyait absolument pas en l’avenir de la fusion mais qu’il trouvait scandaleux l’arrêt définitif du programme Superphénix, le surgénérateur au plutonium qui n’a quasi jamais fonctionné malgré des dizaines d’années de développement et des milliards d’euros. Ainsi, des gens concernés et compétents considèrent que la fusion est nettement plus hypothétique que la surgénération qui s’est montré incapable de passer de la théorie à la pratique
Le plus désolant n’est pas que des sommes gigantesques servent à nourrir quelques centaines de technocrates incapables d’enterrer définitivement «l’H de guerre» mais qu’elles soient détournées de projets qui permettraient une véritable indépendance énergétique grâce aux technologies durables étayées, non polluantes et accessibles comme les éoliennes, la biomasse, les centrales solaires et, last but not least, l’efficience énergétique: faire plus avec moins. Nous en reparlerons.
Laurent Minguet
Quand des atomes légers comme l’hydrogène et ses isotopes - le deutérium et le tritium – sont soumis à des pressions et des températures extrêmes, de plusieurs dizaines voire centaines de millions de degrés, deux noyaux fusionnent pour donner un atome d’hélium plus lourd en dégageant beaucoup d’énergie. Ainsi, notre soleil transforme des millions de tonnes d’hydrogène en hélium, chaque seconde, depuis 4 milliards d’années.
Sur terre, la fusion est une réalité puisqu’elle a été expérimentée avec succès dans...les bombes à hydrogène depuis 1952. Ce qui est plus compliqué est de maîtriser cette puissance inouïe pour produire de l’électricité. Bien plus compliqué que de fabriquer un moteur avec de la poudre à canon.
En fait, la réaction nucléaire solaire consiste à transformer 4 atomes d’hydrogène (H1) en un atome d’Hélium (He4) mais celle retenue pour la fusion terrestre requiert un atome de deutérium et un atome de tritium pour fournir un atome d’hélium et un neutron (H2+H3=>He4 + n) car elle se contente d’une plus basse température...seulement 100 millions de degrés.
Malheureusement, le tritium, fortement radioactif, n’existe quasi pas sur terre. Mais le Lithium (Li 6) peut faire l’affaire car il se transforme en tritium dans la réaction nucléaire.
Bref, l’opération consomme deutérium et lithium.
A 100 millions de degrés, la matière est complètement ionisée, les particules ont des énergies énormes qui permettent aux noyaux atomiques de vaincre leur répulsion électrostatique pour fusionner en fournissant davantage d’énergie que celle nécessaire à maintenir ces températures extrêmes. Cet état de la matière s’appelle le plasma. Comme aucun matériau ne peut le contenir, on le confine dans un tore magnétique appelée tokamak, inventé par les physiciens russes vers 1968. Ainsi, la réaction, une fois amorcée, s’entretient au fur et à mesure qu’on ajoute du combustible.
Le site de Cadarache vient d’être choisi pour l’installation du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Réunis, le 30 novembre 2004 à Bruxelles, les 25 membres du Conseil de Compétitivité ont donc confirmé que la bourgade du sud de la France accueillera ce qui sera le plus grand projet scientifique du monde, à la satisfaction de l’Union Européenne et de ses partenaires du projet (Chine, Russie, Corée du Sud), au grand dam des Etats-Unis et du Japon, l’autre candidat malheureux en lice.
Le programme international ITER prévoit la construction d’un tokamak qui pourra expérimenter la réaction deutérium-tritium ainsi que les enceintes protectrices et génératrices de tritium au départ du lithium. Ce prototype coûtera 4.5 milliards d’euros et fonctionnera vers 2015. Ensuite, vingt ans après, on expérimentera un nouveau réacteur appelé DEMO permettant la production d’électricité. On peut espérer que les premières centrales fournissent de l’électricité après 2050. (www-fusion-magnetique.cea.fr)
Hélas, cette panacée risque fort de rester à jamais un rêve éveillé.
Posons-nous d’abord la double question élémentaire de tout processus durable :
- Les combustibles sont-ils pérennes ? (input)
- L’impact sur l’environnement est-il neutre ? (output)
Pour le deutérium, pas de problème, il s’extrait assez facilement à partir de l’eau de mer qui en contient 33 g/m3 pour la bagatelle de 4000 USD le kilo. On pourrait en fournir pendant des millions d’années sans priver les océans d’une matière vitale. Par contre, le lithium est une matière plus rare. Les gisements mondiaux sont estimés à 12 millions de tonnes dont près de 9 millions dans le seul Salar d’Uyuni en Bolivie (www.autreterre.be/projets/bolivie/le_lithium.htm .
Le lithium est un mélange de deux isotopes Li 6 (12%) et Li 7 (88%). La séparation des isotopes est réalisée par un procédé à base de mercure tellement polluant que la Cogema, le leader du combustible nucléaire, recherche une autre méthode de préparation (www.francenuc.org/fr_sites/prov_mira_f.htm) . En se basant sur les gisements de lithium, on pourrait espérer produire 1.4 million de tonnes de Li6 soit de quoi fournir les 13TW de la consommation mondiale pendant environ 350 ans au rythme de 300Kg par GWan. C’est bien mais ce n’est guère plus durable que le charbon.
L’eau de mer contient également du lithium mais seulement 0,17g/m3 soit 0,02 g par tonne d’eau. A cette très faible dissolution, l’extraction risque de coûter plus cher que l’énergie qu’elle produirait. Ensuite, la pollution énorme générée par la séparation isotopique ne permet pas d’envisager une production industrielle de Li6 sans contaminer durablement la planète.
Enfin le lithium est inflammable, explosif et toxique. Sa manipulation à très haute température constitue un risque. Il en est de même pour le tritium produit dans la réaction qui peut se substituer à l’hydrogène dans l’eau et tous les tissus vivants pour s’y fixer en dégageant sa forte radio-activité.
Un autre problème vient de ce que 80% de l’énergie dégagée par le processus se retrouve dans les neutrons qui échappent au confinement magnétique du Tokamak. Ils doivent être absorbés par des matériaux qui deviendront radioactifs avec des périodes courtes ou très longues comme le niobium 94 ou le technétium 95. Les parois internes du réacteur devront donc être remplacées régulièrement et traitées comme des déchets radioactifs. C’est donc faux de prétendre que la fusion thermonucléaire, telle qu’envisagée actuellement, ne produit pas de déchet radioactif. (www.grappebelgique.levillage.org/articles.php?lng=frpg=57 )
Un dernier inconvénient est l’extrême sophistication du processus. Quelques millisecondes de dysfonctionnement et le plasma détruit une installation de plusieurs milliards d’euros permettant l’explosion du lithium en dispersant tritium et autres produits radioactifs.
Encore une fois, l’industrie nucléaire choisit l’adage « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?». Sans doute parce qu’une entreprise privée peut plus facilement générer des profits en vendant des procédés hyper-technologiques très complexes, dont les investissements pharaoniques font largement appel aux finances publiques. Quand bien mêmes seraient levés tous les obstacles techniques, les gisements de lithium seraient pris d’assaut comme les gisements de pétrole ou d’uranium par des instances privées qui s’enrichiront scandaleusement en exploitant cette concession. Sans doute fera-t-on quelques guerres pour contrôler ces puits de richesses. Et, in fine, l’énergie produite sera le fait de sociétés pouvant maîtriser cette technologie peu reproductible car grande consommatrice en capitaux et matière grise. Bien des pays resteront en marge de ce progrès qui renforcera le déséquilibre entre les pays pauvres et riches.
Les dépenses consacrées à la fusion nucléaire dépassent aujourd’hui 12 milliards d’euros auquel s’ajouteront au moins 10 milliards d’euros durant les 20 prochaines années sans le moindre espoir de rentabilité avant 30 ou 40 ans. Aucun financier n’investirait dans pareil plan d’affaires d’autant que les antécédents sont révélateurs comme l’expliquait la revue The Economist en février 2004. Il y a 50 ans déjà, l’industrie nucléaire annonçait la maîtrise de cette énergie après 30 ans. Aujourd’hui, cette échéance n’arrête pas de s’accroître selon la maxime : »plus je sais et plus je sais que je ne sais pas ».
Un ingénieur français travaillant sur le site de Cadarache m’a récemment confié qu’il ne croyait absolument pas en l’avenir de la fusion mais qu’il trouvait scandaleux l’arrêt définitif du programme Superphénix, le surgénérateur au plutonium qui n’a quasi jamais fonctionné malgré des dizaines d’années de développement et des milliards d’euros. Ainsi, des gens concernés et compétents considèrent que la fusion est nettement plus hypothétique que la surgénération qui s’est montré incapable de passer de la théorie à la pratique
Le plus désolant n’est pas que des sommes gigantesques servent à nourrir quelques centaines de technocrates incapables d’enterrer définitivement «l’H de guerre» mais qu’elles soient détournées de projets qui permettraient une véritable indépendance énergétique grâce aux technologies durables étayées, non polluantes et accessibles comme les éoliennes, la biomasse, les centrales solaires et, last but not least, l’efficience énergétique: faire plus avec moins. Nous en reparlerons.
Laurent Minguet
0 réactions:
Enregistrer un commentaire
Liens vers ce message:
Créer un lien
<< Accueil