Quelle biomasse pour la Belgique ?
C’est aux gouvernements qu’il appartient de prendre les décisions nécessaires pour que la production, le transport, le stockage et la distribution de bois énergie puisse naître au niveau mondial, dans un environnement actuellement hostile, afin de réduire la pression sur les prix de l’énergie et d’entrer enfin dans l’ère du renouvelable.
La Belgique est un petit pays surpeuplé de l’OCDE de 3 millions d’hectares (Mha) dont 1,7 Mha agricoles et 0,5 Mha de forêts. La Belgique consomme en moyenne par an 650 millions de Méga Watt heure (MWh) – importés à 97 % dont 75% d’énergie fossile – soit environ 220 MWh d’énergie primaire annuelle à l’hectare, dix fois plus que la Chine ou les USA.
Sachant qu’un ha produit au mieux 60 MWh d’énergie primaire, sous forme de bois-énergie, toute la surface de la Belgique ne suffirait pas à couvrir nos seuls besoins énergétiques.
Fondamentaux biologiques
Chez nous, le bois énergie ou biocombustible (taillis de saule à rotation de 5 à 10 ans, maïs, paille…) permet une production de 12 tonnes de matière sèche/ha soit environ 50 à 60 MWh.
Un ha de bonne terre produit environ 10 tonnes de sucre de betterave ou 8 tonnes de froment soit entre 30 et 40 MWh dont il faut déduire une bonne moitié consommée par les intrants nécessaires à l’agriculture (engrais, pesticides, mazout agricole, tracteurs…) et par la distillation dans une centrale comme Biowanze. La filière des agrocarburants qui consiste à produire du bioéthanol au départ de betteraves ou de froment ne permet guère de produire plus de 15 MWh net /ha.
En consacrant un maximum de 400.000 ha aux agrocarburants, soit 25% des terres agricoles, la Belgique produirait seulement un demi-million de tonnes d’équivalent pétrole (TEP) par an, soit 5% de notre consommation pétrolière de transport (10 Mt) ou 2% de nos importations pétrolières (24 Mt).
Si toute l’Europe était plantée de cultures destinées à la production d’agrocarburants, elle pourrait subvenir à 20% de ses besoins de transport. Les 1.600 Mha agricoles mondiaux pourraient fournir 2 milliards de tonnes annuelles d’équivalent pétrole soit ce que consomment les transports sur une planète condamnée à mourir de faim…
La directive européenne agrocarburant s’est «plantée trop vite». L’UE aurait dû lui préférer une directive biocombustibles. Si les véhicules ne roulent pas au bois, ce dernier permet l’économie du mazout de chauffage, ce qui revient au même au point de vue de la balance des importations.
En zone tropicale, les rendements en biocombustibles (eucalyptus, leucena, acacia…) sont d’environ 75 à 100 MWh /ha par an. Quant aux agrocarburants, on atteint 2 tonnes à l’hectare, soit 25 MWh par an avec l’huile de palme ou de jatropha. Du simple au triple ou au quadruple.
Fondamentaux économiques
La production de fourrage est celle qui demande le moins d’investissement et de travail. On peut espérer récolter 10 t à 100 €/t par hectare « cultivé », soit un produit de 1000 € pour des frais entre 200 € et 300 €. Le bénéfice moyen est ainsi de 750 €/ha.
Mais l’agriculteur préfèrera planter du maïs de fourrage. Il obtiendra 45 t de matière humide à 45€/t soit 2.000 € de revenu brut. Déduction faite des frais, le bénéfice sera de 1.000 à 1.200 €/ha.
La production de froment permet d’obtenir 8 à 10 tonnes à 200 € aujourd’hui – le prix était inférieur à 100 € en 2003 – soit jusqu’à 2000 € de revenu pour 600 € à 700 € de frais. Le bénéfice est d’environ 1.100 €/ha.
Aujourd’hui, c’est la vache, laitière ou viandeuse, qui est en tête. Une bonne génétique donne 10 m³ de lait par an et se nourrit sur un hectare. Le produit est vendu à 350 €/m³ soit 3.500 € de revenu brut avec des frais d’environ 50%. Le bénéfice moyen est de plus de 1.600 €/ha.
Planter des arbres n’est guère rémunérateur. Au mieux, une production de 60 MWh valorisée à 15 € /MWh génère seulement 900 €/ha de revenus. C’est assez injuste quand on sait qu’un MWh de bois permet d’économiser un MWh de mazout qui coûte 50 €. Le bois est beaucoup trop bon marché.
Commerce équitable
Sous les tropiques, il existe de vastes zones en voie de désertification qu’il faudrait reboiser. On pourrait y installer des centaines de millions d’hectares de culture de bois énergie en prenant soin de renforcer la durabilité des sols et la biodiversité nécessaire aux plantations pérennes.
On procèderait alors à des échanges. Les sols africains, par exemple, ne donnent guère plus d’une tonne de céréales par hectare (riz, en produisant au passage 10 t eqCO2 de méthane, gaz à effet de serre 21 fois plus «réchauffant» que le CO2). Il conviendrait de définir un terme d’échange équitable, par exemple 1 tonne de blé contre 3 tonnes de bois.
Abstraction faite du transport, le producteur d’un hectare de froment (9 t/ha) recevrait 27 t de bois et le paysan africain de bois énergie (15 t/ha), 5 t de céréales. Cette multiplication des pains n’est que l’application du bon vieux principe des avantages comparatifs de Ricardo. Chacun doit faire ce qu’il fait de mieux pour optimiser la production globale.
Les sceptiques objecteront que le coût du transport est rédhibitoire. C’est faux. D’abord, le transport d’énergie est une réalité. Le transport intercontinental d’une tonne de pétrole autoconsomme au moins 5% de son énergie. Pour le gaz, il faut compter entre 10% et 20%. Le transport du bois énergie devrait consommer 10% environ…de bois car rien n’empêcherait que les bateaux fassent tourner leurs turbines à la biomasse. Quant au transport routier, un trajet aller retour de 100 km coûte 10 kWh de pétrole par MWh transporté, soit 1%.
Pour conclure…
La nature produit spontanément 600 milliards de MWh annuels de biomasse. C’est plus de quatre fois la quantité mondiale d’énergie primaire consommée actuellement. A n’en point douter, le bois énergie sera un vecteur énergétique et une source d’énergie renouvelable majeure au XXIe siècle. Mais sa mise en œuvre demandera un développement d’infrastructures comparables à celles qui ont été réalisées pour le charbon, le pétrole, le gaz et l’uranium. Les techniques de conditionnement du bois-énergie doivent également progresser.
Peut-être ne doit-on pas trop compter sur les fournisseurs d’énergie traditionnels. C’est aux gouvernements qu’appartiendront les prises de décisions nécessaires pour que la production, le transport, le stockage et la distribution de bois énergie puisse naître au niveau mondial dans un environnement hostile afin de réduire la pression sur les prix de l’énergie et d’entrer enfin dans l’ère de l’énergie renouvelable.
Laurent Minguet
Philippe #
Attention toutefois de ne pas classer la combustion de bois parmi les énergies vertes. Cela est un sophisme.
Si le bois brulé ne dégage pas plus de CO2 que celui absorbé durant la vie de l’arbre ou que celui relaché durant sa décomposition, il y a toutefois un problème d’ordre de grandeur, d’échelle au niveau du temps.
-Premièrement, le cycle a une certaine limite qui est la durée de la croissance de l’arbre, sans quoi l’arbre n’absorbera plus assez de CO2 pour avoir un bilan neutre.
-Deuxièmement, le sophisme plus subtil, c’est que le rejet de CO2, lors de la combustion se fait en quelques heures là où cela demande plusieurs mois, années lors de la décomposition. Si le CO2 rejeté par l’homme depuis 200 ans l’avait été en 20.000 ans, il est certain qu’on n’aurait jamais eu besoin de parler de GES, de Kyôtô, etc.
Ce qui fait que le problème n’est pas la quantité de GES, mais la rapidité à laquelle il est rejeté.
C’est donc un sophisme à bannir sans quoi on aura une augmentation de CO2 incompréhensible, due aux œillères qu’il nous aura imposées.