Prix pétroliers : moins de démagogie, plus de pédagogie
Carte blanche publiée dans Le Soir des 9 & 10 avril 2005
La régulière et forte augmentation des prix du pétrole suscite à juste titre des inquiétudes, sociales et économiques.
La réponse la plus demandée pour répondre à ces inquiétudes est bien sûr de diminuer les accises sur les produits pétroliers comme l’essence et le diesel (diminuer la TVA demanderait un accord européen qui n’est pas en vue pour le moment). Le Premier Ministre y est, on le sait, favorable.
Ce n’est pourtant pas la bonne solution. D’abord parce qu’elle n’arrange pas grand chose voire rien du tout pour les produits déjà détaxés (ex : pour l’agriculture) ou sur lesquels il n’y a pas d’accises (mazout de chauffage). Ensuite parce qu’elle profitera aussi à ceux qui ont acheté des voitures qui consomment beaucoup, par exemple ceux qui ont acheté le 4X4 Volkswagen Touareg V10 (17,9 litres/100 km !), déclaré le véhicule le plus polluant par l’Agence française de l’environnement, ou des monstres semblables. Aussi parce que cette mesure profitera plus aux classes moyennes supérieures et aux riches, dont la mobilité routière est plus élevée. En-fin, parce que cette approche considère les automobilistes comme une catégorie homogène alors que certains paient eux-mêmes leur consommation automobile et que d’autres se la font payer par leur entreprise, alors que certains déduisent fiscalement leurs dépenses automobiles et d’autres non, alors que certains utilisent la voiture surtout pour des raisons professionnelles et d’autres moins.
D’un point de vue prospectif, réduire la fiscalité pétrolière enverrait un signal trompeur au consommateur mais aussi au citoyen ; en effet, les prix pétroliers sont appelés à rester dura-blement élevés. L’absence de courage politique et de pédagogie citoyenne dans les questions énergétiques depuis une vingtaine d’années se fait ici sentir. Dernière difficulté : à plus court terme (avec des délais certes variables), les prix des autres produits énergétiques vont s’ajuster ; comment atténuera-t-on les hausses des prix des autres énergies (qui ne subissent pas d’accises) alors qu’ils sont d’une manière ou d’une autre ajustés sur le prix du pétrole brut ?
Que faire alors ? D’abord retenir la leçon et s’en convaincre : nous allons devoir apprendre à vivre avec une énergie plus chère, ne nous laissons plus surprendre, préparons-nous sans atermoiements. Dans l’immédiat (cela peut aller très vite), il faut transformer la crise en op-portunité, pour modifier le système de (re)distribution des revenus et son financement. Si on estime nécessaire de soulager l’automobiliste, le camionneur et, en général, le consommateur d’énergie, on peut choisir parmi une palette de mesures comme une réduction forfaitaire des précomptes professionnels et / ou des cotisations sociales, y compris personnelles, une augmentation forfaitaire des prestations sociales, une baisse des taxes fixes qui pèsent sur l’usage de l’automobile et / ou les assurances (cette dernière mesure contribuerait à rééquilibrer un peu les dépenses fixes par rapport aux dépenses variables dans l’usage d’une auto). Tout vaut mieux et est plus efficace et plus juste qu’une réduction des accises. A moyen terme, il importera de prolonger cette première étape en taxant le kérosène pour avions, en ajustant la taxation de l’avantage fiscal apporté par les voitures de société et en rééquilibrant les prix énergétiques (il ne faudrait pas que l’explosion des prix pétroliers génère une augmentation de la consommation d’électricité par exemple).
Au total, il s’agit à la fois de garder les signaux du marché (ceci devrait plaire aux libéraux quand ils le sont vraiment) et de prendre des mesures pour non seulement atténuer dégâts sociaux et économiques mais aussi créer de l’emploi et améliorer la redistribution des revenus (ceci, convenablement expliqué, devrait plaire à tout le monde). Encore faudra-t-il expliquer et convaincre que les mesures les plus simples ne sont pas ni les plus justes, ni les plus efficaces. Un peu moins de démagogie donc, et un peu plus de pédagogie.
Philippe Defeyt
Economiste, Institut pour un Développement Durable