L’entreprise et le développement durable
Pourquoi consomme-t-on toujours davantage de piles alors que les accumulateurs sont nettement moins polluants ? Parce que le lobbying contre les «écotaxes» orchestré dans les années 90 par les industries du PVC, des piles et des emballages jetables a fortement miné l’efficacité du mécanisme visant à orienter le consommateur vers le moins mauvais produit pour la planète. Morale de l’histoire? Les politiciens doivent voter des lois contraignantes et les faire appliquer, au risque de déplaire à leurs électeurs. Les problèmes liés au changement climatique intensifient l’urgence à changer de mode de production plus rapidement que ce que les seules règles de marché ne permettent.
Le développement durable vise la satisfaction de nos besoins sans hypothéquer la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Ainsi, la production d’énergies motrice et calorique, besoins de base universels, n’est pas durable si elle utilise du charbon, par exemple, car la pollution tellurique accumulée et les rejets massifs de gaz à effet de serre handicapent les générations futures et même les nôtres dans la mesure où l’extraction de la houille continue de tuer son lot de mineurs chaque année.
En recherchant la satisfaction des besoins des générations futures et de la nôtre, on englobe implicitement le souci social des plus démunis. On ne peut d’ailleurs pas satisfaire ses besoins égoïstement sans craindre que les pauvres ne se révoltent contre cette injustice. Le besoin de sécurité du nanti ne serait alors pas rencontré. Si nos voisins souffrent d’un dénuement pour de l’eau, de l’énergie, de la nourriture… des tensions apparaîtront sous forme de guerres, d’invasions, d’attentats… La satisfaction des besoins de chacun est nécessaire au développement durable.
Cela ne veut pas dire que chacun doit se serrer la ceinture et consommer avec parcimonie un pétrole ou une nourriture rares. L’austérité n’est pas du développement dès lors qu’elle ne satisfait plus nos besoins. Le développement durable recherche au contraire à les satisfaire avec cette condition supplémentaire de pérennité des solutions.
Le profit, rien que le profit
L’entreprise ne partage pas nécessairement le même objectif. Ses actionnaires recherchent, le plus souvent, l’optimisation du profit en fonction des capitaux investis et du risque qu’ils sont prêts à leur faire prendre. Une entreprise bien gérée tâchera d’optimiser ses profits notamment en réduisant ses coûts ce qui peut être le cas quand elle investit pour économiser de l’énergie ou de la matière dans ses processus de production. Mais elle ne le fera que si elle est convaincue de gagner plus d’argent, éventuellement indirectement, par l’image positive qu’elle peut donner à ses clients, de plus en plus nombreux à être soucieux de développement durable.
Ainsi, une entreprise investira pour remplacer des ampoules à incandescence par des ampoules économiques plus coûteuses mais qui seront amorties en quelques mois. Par contre elle n’investira dans un système de dépollution de ses rejets que si elle y est contrainte par une règlementation dont la taxe ou l’amende dépasse le coût du traitement.
Souvent les entreprises réagissent à ces règles et tentent de les faire changer en invoquant la délocalisation de l’entreprise, l’augmentation du prix du produit ou la pénurie. Ainsi la lutte contre les «écotaxes» orchestrée dans les années 90 par les industries du PVC, des piles, des emballages jetables a fortement réduit l’efficacité du mécanisme visant à orienter le consommateur, via un prix moindre, vers le «bon» produit plutôt que le «mauvais». On consomme donc toujours davantage de piles alors que les accumulateurs sont nettement moins polluants.
L’antidote: le courage politique
Mais l’industriel n’est pas fautif tant qu’il respecte les règles. Il ne fait que défendre sa survie dans un contexte compétitif où ses concurrents ne lui feront aucun cadeau. Ce sont les politiciens qui doivent voter des lois contraignantes et les appliquer au risque de déplaire à leurs électeurs par des mesures impopulaires mais nécessaires. Souvent le courage leur manque. Il est généralement plus facile de perpétuer la mauvaise pratique que d’imposer le changement. Les ONG qui tentent depuis des dizaines d’années d’éradiquer la pratique de l’excision des petites africaines le savent trop bien.
Si la législation environnementale ou sociale devient trop contraignante, l’entreprise peut délocaliser l’activité mise en cause dans des pays plus laxistes. Nous assistons à ce mécanisme depuis longtemps. En 60, les produits étaient souvent «made in Japan», en 70 «made in Singapore», en 80, «made in Taiwan» puis enfin «made in China» au fur et à mesure que le développement de ces pays les rend moins compétitifs que leurs voisins. Gageons que nous verrons prochainement des produits «made in Vietnam» ou «made in Burma» chez Ikea.
La globalisation permet de satisfaire de nombreux besoins à des prix démocratiques. Les bananes restent bon marché mais leur culture maintient des paysans lointains dans la misère.
L’électronique est de moins en moins chère mais la matière et l’énergie qui les composent ne sont pas vraiment renouvelables. L’économiste David Ricardo ne tenait pas compte du dumping environnemental ou social dans sa théorie des avantages comparatifs. Ainsi, l’Europe envoie ses déchets inutilement triés en Inde ainsi que ses vieux rafiots bourrés d’amiante pour s’en débarrasser tout en créant de l’emploi dans le tiers-monde.
Pas de développement durable sans règles internationales
Pour pratiquer le développement durable, les entreprises doivent être contraintes dans des règles internationales comme le réclame le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Ainsi, la réduction des gaz à effet de serre n’a de sens que si tous les pays, en ce compris ceux du tiers monde, acceptent une taxe mondiale sur le rejet d’une tonne équivalent CO2 permettant de financer la décarbonisation de l’économie internationale. Autrement, l’Europe continuera à jouer les Tartuffe en important des produits «made in Salopia» et en y exportant ses déchets.
Nous pensons à tort que la bonne pratique ou le produit durable est forcément plus cher. C’est effectivement souvent le cas puisque sa production utilise des matériaux ou de l’énergie qui ajoute le critère durable à ses spécificités. Ainsi un châssis de bois FSC, label de durabilité forestière, coûtera quelque pour cents de plus que celui fabriqué avec du bois extrait de manière minière au Congo. Un légume bio, refusant l’emploi de traitements phytosanitaires polluants, coûtera aussi 10% à 20% de plus.
Par contre, la production d’acier au Brésil est moins chère en utilisant du charbon de bois renouvelable issus des forêts FSC d’Arcelor plutôt que de fabriquer du coke avec du charbon fossile importé. De même, la production de bois énergie dans les pays tropicaux permettrait d’alimenter des centrales thermiques pour produire de l’électricité trois fois moins chère que celle produite par les actuelles centrales au fuel lourd (et très polluant).
Du temps et de la volonté
Qu’attend-on pour généraliser ces processus ? Rien, ils sont en marche, mais la transition de la production d’énergie vers une autre prend 20 à 30 ans. Il y a 50 ans, on chauffait les bâtiments au charbon, il y a 30 ans au mazout, aujourd’hui au gaz et demain à la biomasse avec de la cogénération, car il est plus efficient et plus rentable de valoriser la chaleur coproduite avec l’électricité au moyen de réseaux de chauffage urbain. Il faut simplement du temps pour mettre en œuvre ces techniques et la volonté de mieux faire.
Nous pensons également à tort que l’énergie renouvelable est limitée, contrairement aux énergies fossiles et nucléaire. C’est l’inverse. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le stock d’énergie conventionnelle est de 930 Gtep, soit 80 années de consommation mondiale au rythme actuel qui grandit chaque année. Les plus optimistes prétendent qu’il suffira de creuser plus profond ou plus loin pour continuer à en extraire. C’est vrai tant que l’énergie nécessaire à extraire une tonne de pétrole reste inférieure à l’énergie que ce pétrole génère.
A l’inverse, les énergies du soleil, le rayonnement et ses dérivés (vents, courants marins, biomasse, hydroélectricité) sont 6.000 fois supérieures à la consommation mondiale. Il suffirait donc de capter un millième de l’énergie qu’on reçoit chaque année pour multiplier par six l’offre énergétique sur la planète, renouvelable et non polluante. Mais aujourd’hui, en Belgique, la production d’électricité photovoltaïque coûte 10 fois plus cher que celle produite avec une centrale TGV. Celle d’une centrale solaire au sud de l’Espagne coûte encore le double. C’est évidemment sans compter sur le coût des externalités, dont la pollution générée par les gaz à effets de serre que les producteurs ne doivent pas assumer.
Induits par le marché seul, les changements requis sont trop lents
Cependant, il est inéluctable que le prix des combustibles fossiles augmente à long terme au fur et à mesure de leur rareté. Le prix de l’énergie qu’il génère en sera impacté à un point tel que, progressivement, les différentes techniques de production d’énergie conventionnelles perdront leur compétitivité face aux énergies renouvelables comme c’est déjà le cas pour la biomasse en zone tropicale ou l’hydroélectricité au Canada.
Les problèmes liés au changement climatique intensifient l’urgence à changer de mode de production plus rapidement que ce que les règles de marché ne l’imposent tant qu’une instance suprême n’ajoute pas le coût des externalités aux énergies conventionnelles.
Quoiqu’il en soit, le recours à davantage de technologies pour répondre aux défis du développement durable caractérisera sans doute l’industrie du XXIe siècle. Les exemples sont nombreux. Il faudra notamment fournir 10 milliards de tep (tonne équivalent pétrole) d’énergie renouvelable supplémentaires, inventer le véhicule qui ne pollue pas (ou peu), généraliser les pratiques agricoles durables, avec le défi de mieux nourrir 3 milliards de personnes supplémentaires tout en maintenant suffisamment de biodiversité sur la planète.
Tout un programme.
Laurent Minguet
Marc Crucifix #
Article très intéressant parce qu’il ose dire les choses sans tabou, ce qui est malheureusement de plus en plus rare à notre époque. Étant moi-même fortement impliqué dans le développement durable et passionné des énergies, je voudrais préciser que les solutions en matière d’énergie existent (et cela, depuis 1839 !): en effet, la pile à combustion (ou à hydrogène) couplée à une production massive d’hydrogène (vecteur énergétique stockable et transportable) à l’aide de l’énergie solaire par électrolyse permet de produire l’énergie, de se chauffer (cogénération), de se déplacer (voiture électrique à hydrogène), le tout sans polluer du tout grâce à la filière de combustion chimique et non plus thermique. Le rendement dépasse de loin tout ce que l’on connaît aujourd’hui.
D’autres avantages de la pile à combustion : pas d’effet d’échelle (minuscule ou géante, elle possède le même rendement), possibilité de décentralisation (chaque habitation pourrait aisément produire toute l’énergie dont ses occupants ont besoin).
Ce dernier avantage explique sans doute aussi pourquoi l’on n’investit pas massivement dans cette filière qui constitue évidemment une menace pour les lobbies de l’énergie qui n’auraient plus de raison d’être si chacun produisait la sienne !
Bref, couplé avec les autres formes d’énergie renouvelable (solaire, hydraulique, éolien, biomasse…), la pile à combustion est LA solution du futur si notre société parvient à dépasser les intérêts des lobbies. Elle existe déjà aujourd’hui, reste à la développer de manière industrielle dans toutes ses applications possibles. On attend les investisseurs…, pourquoi pas en Wallonie ?