L’énergie verte, une chance
Le prix de l’énergie augmente. Une calamité ? Pourquoi ne pas plutôt y voir une chance pour nos industries : celle de fournir les solutions qui permettront de s’affranchir des pratiques polluantes.
L’énergie est une composante fondamentale de l’économie et de l’industrie. Que se soit pour la production des commodités, des produits semi-finis, finis ou de haute technologie, l’énergie est utilisée dans des proportions diverses par rapport à la valeur ajoutée. Elle se retrouve aussi indirectement dans les processus industriels tant au niveau des outils de production que des ateliers et bureaux, des transports de produits et de travailleurs.
En Belgique, 77% de l’énergie primaire provient des combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon), 21% du nucléaire et 2% des énergies renouvelables.
Les énergies fossiles et fissiles proviennent de stocks. Par définition, ceux-ci ne sont pas inépuisables.
De plus, la production et l’exploitation des énergies engendre des pollutions diverses. Les énergies fossiles produisent du C02, des acides, des suies, surtout le charbon. L’énergie nucléaire produit du plutonium et des déchets radioactifs dont l’activité dure jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années. Or le développement durable consiste à satisfaire nos besoins sans empêcher les générations futures à satisfaire les leurs. Nous avons donc la responsabilité de résoudre nos problèmes en léguant des solutions et pas de trouver des solutions qui laisseront des problèmes.
Quelle est l’échéance de ces énergies ?
Les gisements de pétrole exploitables connus ou estimés sont de 130 Gtep dont les 2/3 au moyen orient. Depuis une vingtaine d’années, le rythme de découvertes est inférieur à la consommation. Les réserves de gaz naturel sont d’un même ordre de grandeur. De plus en plus demandé, le prix du gaz devrait augmenter comme celui du pétrole. Les réserves de charbon sont nettement plus importantes. Si le charbon devait subvenir seul à nos besoins comme ce fût le cas jusqu’au 19e siècle, nous en aurions pour 60 ans au rythme de consommation actuelle. Son prix est plus stable que celui du gaz et du pétrole.
Enfin les réserves d’uranium extractibles à moins de 130 $/kg, soit plus de 3 fois le prix actuel, sont de 58 Gtep pour une consommation annuelle de 0,7 Gtep par 440 centrales dans le Monde. Si le nucléaire devait remplacer les énergies fossiles comme on le croyait dans les années septante, les réserves seraient consommées en 6 ans… La surgénération qui consiste à utiliser le plutonium dans des centrales plutôt que dans des bombes, a été abandonnée par la France en 1997 après 30 années de recherches et d’expérimentations infructueuses. L’utilisation du plutonium (5%) mélangé à de l’uranium (95%) dans les centrales classiques sous la forme de MOX coûte 145 M€ supplémentaires par tonne de plutonium. Il s’agit plutôt d’un processus d’élimination de ce déchet cependant fort controversé. La fusion nucléaire contrôlée ne devrait pas permettre de fournir de l’énergie avant, dans le meilleur des cas,2050. Beaucoup d’inconnues sur ce processus demeurent et rien ne garantit que les obstacles technologiques puissent être tous levés.
Mais alors que faire?
Il n’est donc pas prudent de miser toute notre politique énergétique sur des hypothétiques découvertes de technologies ou de gisements. Il est beaucoup plus sage de compter sur des ressources inépuisables et des technologies avérées. A l’ombre d’un charbon puis d’un pétrole bon marché, les énergies renouvelables ne se sont guère développées au 20e siècle sauf dans certains cas comme l’hydroélectricité en montagne, la biomasse au Brésil, l’éolien au Danemark, la géothermie en Islande…
Le solaire et la biomasse
L’inconvénient des flux d’énergie du soleil (solaire direct, vents, hydraulique, biomasse…) est leur forte dispersion et leur variabilité. Par contre, ces flux sont relativement prévisibles, constants et largement disponibles. Les flux d’énergie primaire sont des milliers de fois supérieurs à notre consommation actuelle. Le problème est de capter, concentrer et stocker ces flux énergétiques utilisés en cocktail afin de couvrir tous nos besoins. D’après le professeur Martin de l’UCL, le potentiel mondial du vent, de la houle et des courants est de 400 TW, plus de 30 fois la consommation d’énergie, loin derrière les 82.000 TW de rayonnement que notre planète reçoit chaque année, 6.000 fois notre consommation d’énergie. Les technologies pour capter et concentrer ces flux existent depuis longtemps : le bois de chauffe, les moulins à vent, les moulins à eau… Aujourd’hui, le développement des technologies des matériaux, de l’électronique, de l’aérodynamique, de la chimie…permettent de multiplier le rendement de ces techniques rudimentaires. Même un pays au climat ingrat comme la Belgique reçoit chaque année, sur 60m², l’énergie primaire consommée par habitant.
Le stockage de l’énergie
Aujourd’hui, les bons vieux accumulateurs au plomb offrent un rendement jusqu’à 75% et des taux de recyclage satisfaisants (90%) mais des procédés développés par Umicore, par exemple, permettront d’utiliser d’autres accumulateurs recyclables, plus légers, problème clé du stockage de l’électricité. De même, les développements sur la pile à combustible permettent d’obtenir des rendements électriques de 60% qui ignorent le principe de Carnot. La pile à combustible existe depuis la nuit des temps puisqu’elle permet à toute la faune animale de produire sa force motrice avec des « carburants » plutôt variés…
Last but not least: les économies d’énergies
Le plus grand gisement d’énergie se trouve dans l’efficience énergétique. Par exemple, en Belgique, 80% de l’énergie du secteur résidentiel et tertiaire est utilisée pour le chauffage des bâtiments. Aujourd’hui, les techniques du bâtiment associées aux technologies d’isolation, de captation active, de régulation permettent de diminuer par 4 la facture énergétique soit une économie de plus de 3 milliards d’euros chaque année. De même, pour la consommation d’électricité, les améliorations des appareils électroménagers de classe A, les lampes économiques, la réduction des consommations de veille, la domotique… permettraient de réaliser facilement des économies annuelles de 10 TWh à 20 TWh soit 25% de la production d’électricité.
Les 10 Mtep de pétrole consacrés au transport pourraient être drastiquement diminué en focalisant l’industrie sur les moteurs à haut rendement, les véhicules hybrides et électriques, les piles à combustibles, en diminuant le poids des véhicules et leur puissance mal dimensionnée pour des autoroutes limitées à 120 km/h… mais aussi par un recours plus rationnel à l’automobile. L’amélioration des techniques de téléphonie et de vidéophonie participent également à restreindre les transports physiques. Les techniques de stockage d’énergie dans des batteries, de l’hydrogène ou du méthanol permettront la substitution du pétrole dans les transports. Ici aussi, il faut passer du laboratoire à l’usine.
Enfin, la cogénération, c’est-à-dire l’utilisation de la chaleur des centrales thermiques aujourd’hui jetée à l’eau ou dans l’atmosphère est un potentiel de plus de 10 Mtep, de quoi chauffer gratuitement nos bâtiments grâce à des réseaux de chaleur comme au Danemark, en Autriche, en France…
Energies renouvelables: un boom économique
Le développement durable n’est donc pas un fatras de règles contreproductives qui handicapent davantage nos entreprises face à celles des pays qui pratiquent un dumping social ou environnemental. C’est une panoplie vaste d’opportunités de développement de processus et produits nouveaux qui rendent obsolètes les vieilles technologies peu respectueuses de l’environnement. Par exemple, en développant les technologies éoliennes, il y a 20 ans, les danois, malgré leurs salaires élevés, contrôlent aujourd’hui un marché prometteur de 8 milliards d’euros relativement peu délocalisable. Les entreprises du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) dont Toyota, Dupont de Nemours, STmicroelectronics… ont commencé à réfléchir au développement durable après la conférence de Rio (1992). Aujourd’hui, la mise en pratique de ces idées leur a fait gagner des milliards de dollars et a renforcé leurs avantages compétitifs face à leurs concurrents.
Le renchérissement naturel du prix de l’énergie n’est donc pas une calamité mais une opportunité pour nos industries de fournir les solutions qui vont permettre à l’humanité de s’affranchir définitivement des pratiques temporaires et polluantes afin de pouvoir s’engager sur la voie du développement durable. Cette nécessaire course au rééquipement, tant chez l’industriel que chez le particulier, sera le moteur d’une formidable activité économique créatrice d’emplois ne visant plus au productivisme mais à conquérir au plus vite notre indépendance énergétique.
Laurent Minguet
Cette opinion a été publiée dans le quotidien belge La Libre Belgique du mercredi 3 mai 2006 (version PDF disponible ici). Elle a suscité la réaction de Jean-Luc Léonard, un journaliste scientifique de la revue Athena (Région wallonne), le 10 mai dans les colonnes du même quotidien. Cette réaction peut être consultée ici.
Ce texte a également été publié et discuté sur AgoraVox. Pour y réagir, rendez-vous ici.
Sources :
www.iea.org
mineco.fgov.be
www.cwape.be
www.nymex.com
www-fusion-magnetique.cea.fr
www.ieer.org/ensec/no-3/no3frnch/contents.html
https://www.fournisseur-energie.com/itebe-bois-energie/
chroniques.lucpire.be/minguet/now_future/html-n/ch02.html
www.wise-paris.org/francais/rapports/0302OekoskopFailliteEconomiePu.pdf
alEx #
Voilà une vidéo qui pourrait vous intéresser même si vous êtes tout à fait conscient de ces problèmes. C’est le phénomène des toits végétaux au Québec.
http://leweb2zero.tv/video/lilalilou_84460d09d202e72
Philippe #
Attention toutefois de ne pas classer la combustion de bois parmi les énergies vertes. Cela est un sophisme.
Si le bois brulé ne dégage pas plus de CO2 que celui absorbé durant la vie de l’arbre ou que celui relaché durant sa décomposition, il y a toutefois un problème d’ordre de grandeur, d’échelle au niveau du temps.
-Premièrement, le cycle a une certaine limite qui est la durée de la croissance de l’arbre, sans quoi l’arbre n’absorbera plus assez de CO2 pour avoir un bilan neutre.
-Deuxièmement, le sophisme plus subtil, c’est que le rejet de CO2, lors de la combustion se fait en quelques heures là où cela demande plusieurs mois, années lors de la décomposition. Si le CO2 rejeté par l’homme depuis 200 ans l’avait été en 20.000 ans, il est certain qu’on n’aurait jamais eu besoin de parler de GES, de Kyôtô, etc.
Ce qui fait que le problème n’est pas la quantité de GES, mais la rapidité à laquelle il est rejeté.
C’est donc un sophisme à bannir sans quoi on aura une augmentation de CO2 incompréhensible, due aux œillères qu’il nous aura imposées.