Éole contre Vulcain

En regard des sommes gigantesques investies dans le projet ITER (le seul réacteur coûte aux citoyens 4,5 milliards €…), il est légitime de se demander à quoi elles auraient pu servir si nos édiles pouvaient écouter d’autres voix que celles des intérêts des lobbys pro nucléaires, car nous sommes loin d’une gestion des deniers publics en « bon père de famille » et encore moins du principe de précaution à prendre pour la sécurité des habitants proches du site de Cadarache.

 

L’on sait que, globalement, l’ensemble des énergies alternatives crée 5 fois plus d’emplois que l’ensemble de l’industrie nucléaire ; c’est donc le cas des éoliennes.

Au Danemark, pays pionnier en matière d’énergies renouvelables, le parc éolien, installé depuis 1975 et ensuite, le Plan Energi 21, lancé en 1996, ont permis de mettre en place 3.110 MW en éoliennes (les plus rentables) Des chercheurs du prestigieux groupe Garrad Hassan ont étudié les vitesses du vent, la profondeur des fonds marins, l’infrastructure économique et les progrès de la technologie éolienne en mer. Ils en ont conclu que jusqu’à 50.000 turbines pourraient être construites dans les mers européennes pour générer l’équivalent de milliards de kWh d’électricité, soit une quantité largement suffisante pour alimenter plus de 150 millions de logements (1). Les calculs pour prévoir les consommations, les installations, les budgets, les entretiens, les rentabilités et les économies d’échelles sont faciles et exacts, contrairement aux calculs approximatifs des pro nucléaires. Au Danemark, premier exportateur mondial de matériel éolien, des zones entières sont autonomes en électricité, comme l’île de Samso, d’autres sont en passe de l’être aussi d’ici quelques années : Middelgrunden, Tuns, Vindeby etc. (2). La durée de vie d’une éolienne est de 20 ans, soit un minimum de 120.000 heures (comparer avec une voiture : de 4 à 6.000 heures), on peut donc mettre sur pied un véritable programme de développement durable qui, cette fois, n’est plus une simple figure de style mais bien un ensemble de données tangibles.

Partout, des politiques changent de regard sur le monde ; on voit se créer de plus en plus de comités de réflexion, on multiplie les congrès, les conférences etc. Aujourd’hui, la puissance installée cumulée sur la terre de notre bon vieux continent est de 28.676 MW (2,4% des besoins de l’Europe des 15) pour les seuls générateurs commerciaux (540,4 MW en offshore ; 300 éoliennes) ou dit autrement, l’équivalent de 28 centrales nucléaires de puissance installée…(3)

Le prix de l’installation et de l’entretien est ridiculement bas. Le prix de l’exploitation ne dépasse pas 1,5 à 2% de la somme investie par an, soit 0,01 Euro/kWh…chiffre qui se passe de commentaires

Pour le offshore, il en coûte 1.000 $ par KW installé mais les économies d’échelle et les nouvelles technologies font dégringoler ce prix ; par exemple, une société irlandaise vient de s’associer avec Mitsubishi pour mettre au point des pales d’éolienne en composites thermoplastiques, une résine dite CBT non toxique et entièrement recyclables (4) .Un système à multi rotors va, sous peu, être mis au point, qui permettra de passer de 3 à 21 pales sur un seul axe et ainsi augmenter la puissance par 6…sur une seule éolienne.

On peut désormais placer des éoliennes de 5 MW (comme il est prévu en Allemagne, par Vestas, dès 2006) (5) Pour notre petit coin de terre wallonne, on compte 17 parcs en fonctionnement (23,2 MW) 39 chantiers en cours (71,6 MW) 21 permis en attente (38,3 MW) (6)

La croissance globale de ce secteur à été multipliée par 27 entre 1992 et 2002, donc le nombre d’emplois créés est lui aussi en constante augmentation (7), mais, on cite souvent aussi le spectaculaire 2.000% de croissance en dix ans en certains lieux riches en capital vent. (8) Même dans des régions à faible capital vent comme la Sicile et la Sardaigne, (4 m/s de moyenne, contre 6 dans le nord de l’Europe) on prévoit d’augmenter de 10% en une année, les 942 MW d’ origine éolienne installés dans le pays (février 2004 (9).

L’éolien est en passe de devenir l’une des sources de production d’électricité la moins chère ; ainsi, selon une analyse de l’Université d’Utrecht (10) le coût des installations offshore baisserait de 25% d’ici 2010. L’on comprend mieux pourquoi le Danemark continue à investir et entend, lui, faire baisser le prix de ses installation de 40% avant 2012…(11)

Tout cela s’accompagne de création d’emplois bien plus nombreux que ce qui pourrait l’être avec le projet thermonucléaire ITER. Pour la seule Europe des 15, en 2001, plus de 80.000 personnes étaient directement employées par le secteur éolien (12), dont 21.000 au Danemark et 46.000 en Allemagne ; 14.649 pour les installations de turbines, 47.625 à la fabrication etc. (certaines personnes exercent plusieurs tâches…) (13). Cela fait bien plus que les 1.100 scientifiques de haut niveau et les quelques centaines d’emplois corollaires que dégagera le projet ITER…donc au mieux 2.000 emplois pour une somme globale de 10 milliards € ; ce qui donne le prix, étalé sur près de 40 ans, de 125.000 € par an et non une fois pour toutes pour un emploi ! Quant on sait qu’à l’aéroport de Bierset, le prix d’un emploi était estimé scandaleusement cher à 110.000 € (mais une seule fois…) et que cette somme exorbitante a fait l’objet de longues et difficiles empoignades entre partisans et opposants à ce système qui consiste à financer avec de l’argent public des entreprises privées pour qu’elles réalisent des bénéfices tout aussi privés, on reste sans voix face à la gabegie et à l’aveuglement de ceux qui ont lancé le projet ITER et son astronomique financement.

 

Les deux parcs éoliens les plus importants du Danemark : Horns Rev (160 MW) et Nysted (158 MW) ne représentent dès lors qu’une infime partie des sommes colossales prévues pour le projet ITER. Nysted a coûté 213 millions € (2003) pour une production de 595 millions de KWh par an ou de quoi alimenter 145.000 habitations. Bénéfice réalisé en terme de non production de CO2, 500.000 tonnes…Le chiffre d’affaires global, au Danemark, du secteur des éoliennes est de 3 milliards €.

Le prix en 1998 d’une installation éolienne offshore de 600 KW ne dépasse pas les 500.000 €. La même en 2001 : moins de 400.000 €. Pour une éolienne terrestre de 1000 KW, il faut compter 1.067.000 € en 2001.

Le pays produit 5,5 Twh (2003) soit une couverture de 15,9% des 1,4 million d’habitations, le reste de l’électricité étant destiné aux entreprises, aux PME et à l’exportation ; le Danemark, grâce à sa politique d’énergies vertes économise plus de 100 millions d’Euros par an en charbon (moins 2,3 millions de tonnes de charbon), diminuant par le même effet ses émissions de CO2 de 5,2 millions de tonnes.

L’Union Européenne importe aujourd’hui 50% de ses besoins en énergie ; d’ici 2030, elle devra passer à 70% (14). Il faut compter avec les crises pétrolières, les instabilités récurrentes dans les zones de production, la spéculation etc. bref, avec un ensemble de facteurs sur lesquels l’UE n’a pas ou a peu d’influence, donc elle sera de plus en plus prisonnière, pied et poings liés, face à cette dépendance indispensable. Durant cette période, le taux de CO2 va passer de 5 à 7% puis se situera au-delà des 8%, limite autorisée par les Accords de Kyoto. Notons que le prix à payer pour la pollution au Danemark était estimé avant le plan éolien de 0,4 à 0,7 Euros/KWh, il se situe aujourd’hui entre 0,027 et 0,053 Euros/KWh… (15)

Alors, quid des hommes et femmes politiques ? Tous pourris ? Non, en France, suite au demi-échec du plan Eole, l’Etat est passé à l’attaque en votant une loi qui oblige l’achat par EDF de l’électricité éolienne à hauteur de 83,8 €/MWh contre les 48 € payés en 2001 (moyenne européenne de 25,9€/MWh) Les éoliennes ont poussé comme des champignons après la pluie…Ici, se pose le problème le plus important concernant la rentabilité des éoliennes : Le prix de vente de l’électricité produite. Bien plus crucial que la moyenne du capital vent, ce point est la pierre d’achoppement de beaucoup de projets avortés (8 refusés en 2003 pour la seule Wallonie). Dès lors, il est essentiel de mettre en place une législation adaptée (exemple l’Italie qui voit son ambition éolienne ralentie faute d’avoir des décrets idoines concernant l’application de la loi 387 qui régit l’installation des générateurs) En Allemagne, des études montrent que personne n’est prêt à payer plus cher son électricité pour des raisons idéologiques (sic), par contre, aux Pays-Bas, il y a moins de cinq ans, une enquête demandait aux citoyens s’ils étaient prêts à payer plus cher leur électricité s’ils avaient la garantie que les bénéfices seraient utilisés pour promouvoir des énergies renouvelables ; la réponse, étonnante, fut positive. Plus du double des ménages de ce qu’avaient escomptés les initiateurs de cette enquête à donc répondu à l’appel et de la solidarité et de la conscience qu’un monde meilleur ne saurait advenir que grâce à ces projets verts. Il est vain de multiplier les exemples tant les choses bougent vite dans ces domaines, y compris dans la gigantesque administration du premier consommateur et premier producteur d’énergie éoliennes, l’Union Européenne au sein de laquelle des législation existent ou sont en cours de rédaction.

 

Mais l’éolien non industriel connaît aussi des difficultés qui sont non seulement de l’ordre des choix politiques (même influencés ou imposés par les Accords de Kyoto), mais aussi et surtout de l’ordre économique ; la technologie éolienne « familiale » ne permet pas de stocker le surplus d’électricité produite. Le particulier peut utiliser des batteries, non écologiques et non durables, mais ce système est hors de prix et ne dure que trois ans au plus et son rendement est inférieur à 50%.(16) Donc, le coût de la technologie des batteries, aujourd’hui, rend rédhibitoire toute forme d’installation privée ; seules les zones très isolées comme dans certains ranchs des Etats-Unis ou dans le désert, voire des bateaux peuvent recourir à ce moyen. Pour l’industrie, les choses sont plus simples, la production d’électricité éolienne repart sur le réseau.

 

Il est clair que les choix politiques vont encore vers l’énergie nucléaire comme le souligne abondement le Livre Vert de l’Union Européenne, mais, sans forcer l’enthousiasme, on peut penser que les énergies renouvelables ont le vent en poupe. Toutefois, l’option du projet ITER, ses nombreuses incertitudes, son coût pharamineux, sa technologie non maîtrisée, presque inconnue, pouvant être anéantie en quelques millisecondes, inquiète de plus en plus de monde, et pas seulement les altermondialistes ou les Verts. Aujourd’hui, le vent, le soleil, les marées et toutes les énergies durables sont au menu des grandes rencontres internationales où, lentement, les mentalités changent.

Nous n’héritons pas de notre Terre, nous l’empruntons à nos enfants.

Alfonso Artico

 

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