En Belgique, l’auto « écolo » est un flop
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L’équation est simple: si tout le monde achetait les voitures les moins polluantes sur le marché, l’air de nos villes serait plus respirable et le climat moins malmené. En Belgique, les pouvoirs publics encouragent bien l’achat de tels véhicules –en ne se focalisant toutefois que sur les émissions de CO2–, mais ils rechignent à décourager l’acquisition d’engins fort polluants. Pourtant, les ventes de ces derniers explosent et celles des véhicules moins polluants diminuent globalement… |
On est encore très loin du scénario idéal de la voiture électrique à pile à combustible alimentée par de l’hydrogène produit et stocké grâce à de l’énergie renouvelable (lire «Quelle voiture pour demain?»). Mais dès aujourd’hui, il est possible de se tourner vers des véhicules qui consomment peu, et donc, polluent moins. Quels sont ceux disponibles sur le marché belge? Tout dépend en réalité de ce que l’on entend par «pollution». S’il s’agit d’émettre le moins de CO2 possible par kilomètre parcouru, le Service public fédéral Mobilité et Transport publie chaque année son «Guide CO2», qui reprend plus de 50 marques de voitures vendues en Belgique, et qui classe les différents modèles selon ce critère unique (1).
Au classement 2004-2005, l’Audi A2 3L 1.2TDI partage la pole position avec la Volkswagen Lupo 1.2TDI 3L (81 grammes de CO2 par kilomètre), talonnées par la Smart ForTwo CDI (90 g de CO2 par km). Sur la troisième marche du podium: la Toyota Prius (104 g de CO2 par km), élue «voiture européenne de l’année 2005» en novembre dernier par 58 journalistes issus des quatre coins de l’Union. Il s’agit d’un modèle hybride équipé de deux moteurs: un thermique, à essence, et un électrique, alimenté par une batterie rechargeable (lire «Tout ce qu’hybride n’est pas or»).
Le flop des incitants positifs
En Belgique, les pouvoirs publics encouragent l’achat de ces véhicules «moins sales» (moins de 105 g de CO2 par km) par le truchement d’une réduction d’impôt équivalente à 15% du prix de vente. Les véhicules qui rejettent entre 105 et 115 g de CO2 par km sont quant à eux sujets à une réduction de… 3% seulement (2). Mais cette politique chèvre-choutiste, qui récompense modestement les «bons» comportements sans pénaliser les «mauvais», a des effets quasi insignifiants. Selon un premier bilan réalisé par la FEBIAC, sur les 237.356 véhicules neufs achetés entre janvier et mai 2005, seuls 5% d’entre-eux émettent moins de 115 g de CO2 par km. En fait, sur 344 véhicules vendus appartenant à la première catégorie (moins de 105 g), seulement 168 l’ont été à des particuliers, qui sont les seuls à pouvoir bénéficier de ces primes. Dans la seconde catégorie (105 à 115 g), 11.573 ventes ont été enregistrées, soit moins qu’en 2004 pour la même période! Au total, tous ces véhicules peu polluants ne représentent que… 0,14% du parc automobile (3). Une goutte d’eau dans un océan de CO2.
Ecotaxer les choix polluants
En revanche, les pouvoirs publics ne font absolument rien pour décourager l’achat de modèles très polluants, à l’instar du 4×4 diesel Touareg V10 de Volkswagen (346 g de CO2 par km) ou du 4×4 G500 Cabriolet de Mercedes (378 g de CO2 par km). Ce dernier engloutit pas moins de 20,9 litres d’essence aux 100 kilomètres en zone urbaine. Et avec la clim’, il dépasse les 28 litres (4)! Les associations françaises Agir pour l’Environnement et Réseau Action Climat ont d’ailleurs décerné à ces deux fossoyeurs du climat leur «Prix Tuvalu» du véhicule le plus polluant (respectivement en 2005 et 2004), du nom de cet archipel du Pacifique dont certaines îles sont directement menacées par la montée du niveau des océans.
Ecotaxer les véhicules très polluants, comme les 4×4, pourrait pourtant rapporter gros. En sept ans, les ventes de ces usines à CO2 ont plus que doublé en Europe. Durant la même période, Nissan, qui offre la gamme de tout-terrain la plus large du monde, a presque multiplié ses ventes de 4×4 par trois (5)…
Croissance et électoralisme
Sans doute ne s’attaque-t-on pas impunément à un secteur qui pèse lourd dans l’économie belge (6). Selon la Fédération belge de l’industrie automobile et du cycle (FEBIAC), les usines d’assemblage et les sous-traitants ont occupé quelque 75.000 travailleurs et représenté 14,5% des exportations belges en 2003. L’an dernier, le secteur de la distribution et de la réparation de voitures et de pièces représentait environ 80.000 emplois. Et le business de la bagnole (ventes et réparations) a ramené quelque 3,3 milliards d’euros dans l’escarcelle du Trésor, grâce à la TVA. Entre de juteuses rentrées fiscales et la menace à peine voilée de délocalisations (7), les mesures écologiques réellement efficaces (y compris pour l’Etat, auquel une écotaxe rapporterait de l’argent, alors que les réductions d’impôts déséquilibrent son budget) semblent tout simplement ne pas pouvoir trouver leur place.
Croissance et électoralisme obligent, seule la flambée des prix du pétrole semble en mesure d’enrayer la pollution due au trafic routier. Il est donc salutaire de s’en réjouir, d’autant que les émissions moyennes de CO2 des véhicules neufs stagnent lamentablement depuis 4 ans. L’accord volontaire signé en 1998 par les constructeurs automobiles européens avec la Commission ne sera donc vraisemblablement pas atteint. Cet engagement fixait un objectif de 140 g de CO2 par km émis en moyenne par les voitures neuves à l’échéance 2008, et de 120 g de CO2 par km à l’horizon 2012. Or, en 2004, cette moyenne était encore de 160 g de CO2 par km, soit 1,8% de moins seulement qu’en 2003 (8). Pour atteindre l’objectif fixé –ce qui est crucial pour respecter les engagements du protocole de Kyoto– une diminution annuelle de 3,3% s’impose. On en est loin.
Les hybrides au top
Il n’y évidemment pas que du CO2 qui est recraché par les pots d’échappement. Si l’on tient compte de toutes les émissions atmosphériques –CO2 mais aussi oxydes d’azote, hydrocarbures, particules fines, etc.– les champions toutes catégories sont la Toyota Prius et la Honda Civic IMA, les deux premiers véhicules hybrides à avoir été commercialisés en Belgique (9). Outre des émissions faibles de CO2 (104 g par km pour la Prius, 116 g pour la Civic IMA), ces deux hybrides satisfont d’ores et déjà aux critères de la norme EURO 4, qui sera obligatoire dans toute l’Union européenne pour les véhicules commercialisés après le 1er janvier 2006 (10). Tous les modèles qui les devancent dans le «guide CO2» ne répondent, eux, qu’à la norme EURO 3, beaucoup moins stricte.
Rouler «moins sale» dans un hybride reste cependant une option réservée à quelques happy few en Belgique. Toyota, par exemple, n’a vendu que quelque 180 Prius en 2004… Il faut dire que les prix des hybrides (27.000 euros pour la Prius de base, 22.000 pour la Civic IMA) restent élevés par rapport à des véhicules équivalents non-hybridés, et ce malgré le petit coup de pouce fiscal accordé depuis janvier 2005. Un avantage qui, par ailleurs, ne marque ses effets que deux ans après l’achat…
David Leloup
(1) Le Guide CO2 est consultable en ligne. Pour info, la moyenne européenne des émissions des véhicules est de 163 g de CO2 par km.
(2) Plafonds respectifs de 3.280 et 615 euros non indexés. Détails ici.
(3) «La voiture propre ne plaît pas», Le Soir, 16 et 17 juillet 2005. Résumé ici.
(4) D’après les chiffres diffusés par l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
(5) La Dernière Heure, 16 décembre 2004.
(6) Selon l’Office flamand d’investissements étrangers (FFIO), la Flandre figure au premier rang de l’industrie automobile européenne.
(7) Lire à ce sujet «La propension à réglementer nuit à la compétitivité de notre industrie automobile», FEBIAC, novembre 2004.
(8) «Carmakers failing to meet emissions pledge», Financial Times, 11 mai 2005.
(9) Depuis juillet 2005, un troisième modèle hybride est en vente sur territoire belge: le Lexus RX400h. Ce volumineux «tout chemin» de la gamme de prestige de Toyota coûte néanmoins la bagatelle de 58.000 euros. Il comporte trois moteurs (un thermique et deux électriques), consomme 8,1 litres aux 100 km en cycle mixte et rejette 192 g de CO2 par km.
(10) La norme EURO 4, par rapport à l’EURO 3 divise, pour les véhicules à essence, grosso modo par deux les émissions d’oxydes d’azote (NOx), d’hydrocarbures imbrûlés (HC) et de monoxyde de carbone (CO). Côté diesel, elle réduit d’environ 50% les NOx, le niveau de mélange de NOx et HC et la quantité de particules, et de 22% le volume de CO.