Commerce international : bénéfices et mythes

La théorie de Ricardo néglige cependant les coûts liés au transport.

Si ceux-ci sont importants par rapport au bien transporté, l’intérêt du commerce international peut disparaître. Cela dit, le transport intercontinental par bateau coûte aujourd’hui 15€ par tonne plus 5 € de transport fluvial environ. Il est donc toujours plus avantageux d’importer le charbon en Europe que de l’extraire. Les apôtres du libre-échange feront pression pour que les coûts du transport restent bas en négligeant notamment les coûts environnementaux : marées noires, rejets du fuel en mer et du CO2 dans les airs, nuisances sonores, dégradation des routes, accidents…

Les taxes douanières ou les contraintes administratives du pays importateur entravent également le libre-échange. Ainsi, en 1981, la France avait imposé que tous les magnétoscopes japonais se fassent contrôler dans le petit bureau de Poitiers par une demi-douzaine de douaniers tatillons. Les Japonais stoppèrent leurs ventes et leur gouvernement porta plainte à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui arbitre ce genre de conflit.

Face à une main-d’œuvre bon marché puisqu’elle n’intègre que peu de coûts sociaux (pensions, allocations de chômage, allocations familiales, couverture médicale…), les productions occidentales résistent par l’augmentation de la productivité qui consiste à investir davantage dans l’outil pour réduire la main-d’œuvre afin de maintenir ses avantages compétitifs. Cela crée du chômage, mais conserve le moteur économique. Hélas, cette course à la productivité n’est pas toujours tenable et l’industrie doit souvent se résoudre à fermer ses usines ou à les délocaliser, ce qui revient au même pour le travailleur mis à pied.

 

Récemment à Deauville devant un parterre d’hommes d’affaires, Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, plutôt adepte de la doctrine libérale, s’interrogeait sur le bien-fondé de ce mécanisme. Pourquoi l’ouvrier de Béziers devrait-il voter « oui » à l’Europe du libre-échange qui va délocaliser les fabrications métalliques en Tchéquie et créer des entreprises de nanotechnologie à Pontoise ? Surtout quand on sait que les USA ont augmenté jusqu’à 30% leur taxe douanière sur l’acier pour protéger leurs industries menacées, ou que les Chinois imposent systématiquement un partenaire local aux entreprises désireuses de pénétrer leur marché. Les Japonais et les Anglais ont toujours pratiqué de la sorte : faites-vous envahir par mes produits, mais ne m’envahissez pas. Ricardo, pourquoi m’as-tu abandonné ?

C’est certainement le cas de l’or. Ce métal, symbole de richesse et de pureté, devrait plutôt évoquer la gabegie. Mais il faut savoir que pour produire votre anneau nuptial, il a fallu contaminer une tonne de terre au cyanure et au mercure. Excusez-moi du peu. C’est effectivement la technique la moins coûteuse…à condition d’oublier les millions de m3 de terre et de nappes phréatiques polluées pour de nombreux siècles sans compter les litres de sang africain. Le coût-vérité de l’or, c’est-à-dire celui qui intègre l’ensemble des dépenses pour le produire en préservant l’environnement serait probablement cinq ou dix fois plus élevé mais cela ne changerait rien à l’économie mondiale. L’or serait simplement revalorisé au bénéfice de ceux qui en possèdent déjà un peu. Un bijou en or deviendrait encore plus prestigieux, ce qui augmenterait le plaisir de le recevoir, même s’il est plus léger, car ce n’est pas au poids que l’on juge de la qualité d’un cadeau sinon nous offririons des pierres ! De plus, l’or est un métal qui se recycle facilement. Sa matière peut être retravaillée quasi à l’infini pour donner naissance à de nouveaux bijoux. Car en fin de compte, l’or ne présente guère d’autres utilités. Il y a longtemps qu’on a trouvé de meilleurs matériaux pour réparer les dents et qu’il n’est plus l’étalon monétaire d’autrefois.

Comme nous l’avons vu dans notre précédente lettre (http://chroniques.lucpire.be/minguet/now_future/html-n/ch02s03.html#d0e528), nous ne sommes pas plus riches en brûlant 4 tonnes de mazout au lieu d’une seule si cette dernière a permis de chauffer pareillement votre habitation thermo-efficace. De même, quand une maison brûle, il faudra en construire une nouvelle. Cela augmentera le produit intérieur brut (PIB), mais pas la richesse. Au contraire, il faudra consommer des richesses monétaires ou minérales ainsi que de la main-d’œuvre pour revenir à la situation de départ. En fait, tout ce qui consiste à reconstruire ou refabriquer ne constitue pas un enrichissement. Le carrossier qui répare une tôle froissée, le médecin qui soigne un fumeur malade ou une jambe cassée, augmentent le PIB sans créer de richesse. Le résultat aurait été identique si le conducteur avait été prudent, le fumeur abstinent ou le skieur moins téméraire.

La durabilité des biens est un meilleur critère de richesse. Prenons l’exemple des routes africaines ou de la célèbre E411. En Afrique, les cahiers des charges prévoient en général une durée de vie de 20 ans : une couche de bitume de moins de 4cm. La route coûte deux fois moins cher, mais dure quatre fois moins longtemps qu’une bonne route européenne. Sur le court terme, l’investissement est moindre, mais sur 80 ans, cela revient deux fois moins cher de construire une route durable plutôt qu’une route « africaine ».

Les Romains l’avaient bien compris…

Ce qui constitue la richesse d’une nation est plutôt la valeur de ses stocks de bâtiments, de voies ferrées ou routières, de ses ports et aéroports, de ses terres productives, ses forêts, ses rivières et mers, ses outils de productions et usines, son parc automobile ou aérien, et, bien entendu, ses réserves monétaires. Chaque année, les flux monétaires engendrés par le commerce et les transferts internationaux augmentent ou diminuent la richesse d’une nation.

Le Sénégal en importe de Hollande au lieu de les cultiver alors que le rendement dépasserait 50 tonnes à l’hectare. C’est parce que l’oignon hollandais, malgré le transport, revient un rien moins cher à Dakar que l’oignon sénégalais cultivé actuellement. Comment expliquer ce paradoxe alors que l’ouvrier agricole hollandais coûte 15 fois plus que le sénégalais ? D’une part, les aides agricoles européennes à la production et à l’exportation diminuent artificiellement le prix de vente de nos oignons. D’autre part, l’infrastructure routière européenne permet le transport aisé entre les lieux de production, de transformation et d’expédition. Ensuite, la technologie agricole permet d’augmenter les rendements alors que la production de biomasse en Casamance, au sud du Sénégal est, par nature, environ 3 fois plus importante que sous nos latitudes. Le même scénario se produit pour les céréales, les légumes, les fruits pour un total de 500 M€ par an. Il faudrait donc que le Sénégal produise lui-même son alimentation en exploitant convenablement (et durablement !) ses 38.000 km² de terres arables. Il s’enrichirait alors de 100 M€ par an au lieu de s’appauvrir dans une spirale d’endettement.

D’autres pistes d’enrichissement pourraient s’ajouter, le tourisme, la production d’énergies renouvelables en captant les flux solaires (solaire direct, vent, pluie, biomasse…). Nous en reparlerons ultérieurement.

Par contre, il serait contre-productif, et de toute manière impossible, que le Sénégal cherche à produire tous les biens qu’il consomme : ordinateurs, voitures, avions, bateaux… Cela consommerait trop de capital et de matière grise pour un résultat vraisemblablement médiocre. Il faut davantage miser sur les points forts de la Casamance : des terres riches, une pluviosité plus abondante qu’en Belgique, une main-d’œuvre bon marché, un climat agréable…

Un bon exemple de commerce international à établir entre le Sénégal et l’Europe et celui du bois et des céréales. En effet, sous nos latitudes, un hectare produit indifféremment environ 10 tonnes de bois ou de céréales. Par contre, au Sénégal un hectare produit 30 t de bois et seulement 2 t de riz. En échangeant, par exemple, 30 t de bois contre 10 t de blé, l’Europe obtiendrait 3 fois plus de bois et le Sénégal 5 fois plus de céréales par hectare qu’en pratiquant dans son coin des cultures inappropriées. Ceci est un bon exemple de commerce international.

Un pays comme le Sénégal, et ils sont légions dans le monde, montre que le système du commerce international est la meilleure et la pire des choses. Ses règles actuelles qui font fi des dumpings sociaux et environnementaux doivent être modifiées. De même, s’il est légitime pour un pays de soutenir une activité stratégique comme l’alimentation ou l’énergie durable, il n’est pas acceptable que ses subsides détruisent les efforts de développement des pays voisins et les précipitent dans la pauvreté. Il est d’ailleurs curieux que l’OMC ait accordé des délais aussi longs pour contraindre l’Europe et les USA à supprimer leurs aides à la production agricole.

Selon que vous serez puissant ou misérable…

Laurent Minguet

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